Rappel du premier message :


C'est une fraîche journée d'été. Lumi et Ilma reviennent de mission en dehors de Moscou et sont contentes de retrouver la capitale. Enfin, pas autant que leur village natal de rebelles pirates de l'air ! Pour Lumi, c'est toujours l'occasion de se renseigner sur les poupées léguées par ses parents. Pour Ilma en revanche qui ne parle pas bien russe la ville est stressante, heureusement certaines personnes égayent cette ville à commencer par Lumi mais pas que.

Les filles ont rencontré une autre pilote de dirigeable. Elle n'a pas son propre dirigeable à vingt ans mais a vocation de l'avoir. Cette femme s'appelle Natacha Vasilievna Azarova et se trouve justement au même port que les filles. Ces dernières la saluent chaleureusement.

"Aujourd'hui, nous allons visiter la ville avec Ilma ! Est-ce que vous connaissez des coins sympathiques par hasard, madame Azarova ?"

"Poésie ? Ouvrage juvédiques ?" répète Lumi sans comprendre.

« Juridique », reprit Tsillia, plus lentement. Elle avait oublié que comme le russe n’était pas la langue maternelle des deux autres, leur vocabulaire avait peut-être des lacunes. « La poésie, c’est des textes courts qui ont une forme spécifique (souvent ils riment) et qui parlent de… euh, plein de choses en fait, mais souvent c’est plutôt sentimental. Et les textes juridiques, c’est tout ce qui a un lien avec le droit : des textes de loi, des recueils de plaidoiries (ce qu’un avocat fait au tribunal) ou de jugements… » Raïetchka se laissait entrainer et ignorait si les deux autres avaient saisi un traitre mot de ce qu’elle venait de dire.

Si Ilma et Lumi comprennent bien la définition de juridique, elles ne comprennent pas la définition de "poème", faute de vocabulaire.
"Voulez-vous nous montrer un exemple ?" demande Lumi.
Un dessin vaut mieux que mille discours, n'est-ce pas ?

À la demande de la pilote, Tsillia sortit d’une poche de sa robe son carnet de croquis et un crayon, et l’ouvrit à une page blanche pour y écrire à la hâte un poème d’un de ses auteurs fétiches, Mikhail Lermonov. « C’est un texte dont les lignes sont composées pour suivre un schéma : respecter un certain nombre de syllabes, rimer, utiliser certains sons ou avoir un certain rythme. Le but est que la forme et le contenu évoquent ensemble une image ou un sentiment. »

HRP:

Lumi ne s'attendait pas à avoir littéralement un dessin. Elle voit tout de même que le texte prend une forme particulière, différente d'une annonce écrite, d'un manuel ou d'un roman, bon à savoir.
"Evoquer une image ou un sentiment ?"
Les filles tendent l'oreille pour comprendre ce cours de littérature.

« Oui », confirma Tsillia. Elle se tut ensuite un moment, réfléchissant à la meilleure manière de formuler ses explications. « Beaucoup de textes ont pour but de transmettre des informations ou donner des instructions. Un article de journal, par exemple, ou une recette de cuisine. Un poème veut faire ressentir quelque chose à ceux qui le lisent, parfois lié à une scène ou une image. Un peu comme une chanson, par exemple. »

Lumi n'ignore pas le concept de la poésie, seulement de quelques mots de vocabulaire. La définition très abstraite ne l'aide pas. Beaucoup d'arts visent à transmettre un sentiment. En revanche, Lumi comprend bien le mot "chanson".
"Peux-tu nous lire ta poésie préférée s'il te plaît."

L’aviatrice savait-elle seulement à quoi elle s’exposait ? Raïetchka et Natachenka échangèrent un sourire amusé en voyant le visage de leur soeur s’illuminer encore un peu plus. Habituellement plus réservée que sa jumelle (ou plus dans son monde), elle ne se faisait jamais prier pour partager sa passion. Elle se leva d’un bond, et obtempéra sans prendre la peine de lire un poème qu’elle connaissait de toute façon par coeur. Celui-ci peignait les périples d’une voile sur un océan houleux en quête non de trésors, mais d’un bon vent.

HRP:

"Ah ! Je vois ! C'est un runoutta, s'exclame alors la russo-finoise. Et ça parle d'océan, non ? L'avez-vous déjà vu ?"
Inutile de dire qu'une voyageuse comme Lumi qui doit passer au dessus du golf de Finlande l'a déjà vu.

Inutile de dire qu’aucune des trois Moscovites ne connaissait le mot « runoutta ». « Euh… j’imagine », fut par conséquent la seule réponse de Tsillia. Les questions suivantes, par contre, elle savait y répondre : « Oui ! Et nous on ne l’a pas encore vu, mais Natachenka oui. » « Et vous deux ? », voulut aussitôt savoir sa jumelle.

Les filles pilotes répondent naturellement que oui, que l'océan est aussi beau par calme plat que légèrement agitée. Tout en discutant, les filles aperçoivent un petit lac, sans doute la tâche bleue précédemment vue sur le plan du parc.
"Par contre, je ne suis jamais montée sur un bateau !"

Aucune des jumelles ne parvenait vraiment à s’imaginer l’océan. Même en en ayant vu des peintures ou lu des descriptions, comment peut-on vraiment concevoir une immensité d’eau à perte de vue quand on n’a jamais connu que Moscou et ses alentours ? Et pourtant, même ainsi, elles avaient apparemment vécu certaines expériences qui manquaient aux deux autres adolescentes. « Il y a des petites barques pour se balader sur le lac. C’est pas l’océan, mais c’est de l’eau quand même ! »

"Ça a l'air d'être une activité si reposante ! Si ça ne vous dérange pas, je voudrais y aller, n'est-ce pas Ilma ?"
Ilma acquiesce, curieuse également de se laisser bercer par l'eau au lieu du vent.

« Bien sûr ! Les barques sont là pour ça ! » Et si ça permettait à leurs deux nouvelles amies de s’initier à une activité qu’elles n’avaient jamais pratiqué, c’était un avantage supplémentaire. Leurs verres vidés, les soeurs ne tardèrent pas à diriger le petit groupe vers le petit embarcadère au bord du lac.

"Et vous, avez-vous déjà essayé ?" demande Lumi en se positionnant dans la file d'attente pour payer le voyage.

« Plusieurs fois, oui. On vient souvent au Jardin Botanique en famille. Enfin, ou du moins avec une partie de la famille », rectifia Raïetchka avec le sourire.

Lumi et Ilma qui viennent d'une grande famille elles-aussi ne relèvent pas la fin de la phrase de Raïetchka. Et qu'il est bon de voir une famille si heureuse. S'ils ont des zootropes chez eux, il faut espérer qu'ils s'en sortent.
"Est-ce qu'il faut un permis pour naviguer sur l'eau ?"
Il en faut bien un pour voler en dirigeable…

« Euh… Pas pour les barques sur le lac en tout cas. » À vrai dire, c’était une question que Raïetchka ne s’était jamais posée. « Je sais que les capitaines de marine doivent suivre une formation, mais je ne sais pas si ceux qui ont un vaisseau privé doivent avoir un permis », intervint Natachenka.

"Vous connaissez des capitaines de marine, Natacha ?" demande Lumi avec de l'étonnement curieux dans les yeux.
La file avance et laisse les filles devant le guichet, faisant face à un jeune moscovite probablement étudiant.
"Bonjour, une barque pour cinq ? Je suis désolé, elles ne supportent que quatre personnes."

« Quelques-uns. Il y a souvent des échanges de marchandises ou de passager entre le dirigeable où je travaille et des navires. » Une fois qu’elles furent arrivées au guichet, Natachenka ne laissa à personne le temps de réagir : « Allez-y, je passe mon tour pour cette fois. Je connais le lac par coeur depuis le temps. » Raïetchka soupçonnait que c’était sa manière de les laisser entre adolescentes du même âge environ.

Les filles font un dernier salut de la main à la grande sœur et se préparent à monter en barque. Les deux courageuses pilotes s'installent sur la chose en bois comme si c'était la chose la plus naturelle au monde. Et à voir leur tête, elles n'en reviennent pas elles-mêmes.

Les jumelles, elles, affichèrent un sourire satisfait en voyant l’expression des deux autres. Ce n’était pas tous les jours qu’on faisait découvrir une activité à des voyageuses de long cours, après tout ! Les soeurs se saisirent des rames pour permettre à leurs nouvelles amies de profiter de la promenade aquatique en toute tranquillité, et commencèrent à éloigner l’embarcation du rivage.

La joie de sentir le tangage de la barque est grande pour les deux aventurières. Regarder l'eau scintiller de si près est aussi une nouvelle sensation, ce n'est pas tout à fait comme regarder la mer à l'horizon. Mais Lumi veut tout découvrir et tout faire.
"Est-ce que je peux essayer le-- avancer le bateau, s'il vous plaît ?"

« Bien sûr », répondit Tsillia immédiatement. « Ces barques sont stables, marche doucement au milieu de la barque vers ma place. » Elle joignit le geste à la parole en entamant le trajet en sens inverse tandis que Raïetchka bougeait son poids pour compenser le léger roulis causé par les déplacements.

Lumi rit de voir toutes ces précautions, leur dirigeable n'est pas aussi sensible, sans doute à cause de sa plus grande taille. Une fois installée, elle saisit sa pagaie et essaye. Les premiers essais sont laborieux mais ne la découragent pas.