Lulu par-ci, Lulu par-là. Sérieusement, ma soeur ne va pas me lâcher la grappe ! Depuis que je me suis pris une balle dans le bide, elle croit que je suis en sucre et me sûr protège. Si seulement j'avais le droit d'aller travailler pour avoir un peu de répit, mais non, ça non-plus j'y ai pas le droit "en attendant que tu sois remise". Ne vous détrompez pas, j'aime ma soeur, mais trop c'est trop. Alors je me trouve des activités, des associations qui bougent, des trucs à faire.

Présentement mon truc à faire c'est d'aller manifester sous les fenêtre d'un Ducon qui s'oppose à la ratification du Mutant Act, cette loi qui obligerait le recensement de tous les mutants et de leur pouvoir, nous permettant d'être un peu plus en sécurité dans notre pays tout de même. Bref un connard qui pense qu'on est égaux avec des mutants qui peuvent faire croire à votre collègue que vous êtes une cible et qu'il faut vous tirer dessus. Ce genre de trucs sympas quoi.

Il ne fait pas un super temps, mais au moins on n'a pas l'impression qu'on va se prendre une averse. On fera avec le froid.

Et une journée comme je les aime ! Pas trop lumineuse, avec un froid stagnant qui vous obligeait à prendre une boisson chaude pour ne pas avoir les doigts engourdis. Du coup, vous aviez des fourmis aux extrémités, mais à cause de la température du café. C'était un bon moment pour se retrouver avec des gens.

Et ces derniers temps, j'avais besoin de parler avec des gens. Alors j'allais retrouver Lucie devant la mairie de district pour faire pression sur l'élu local.

Bien, quand je vois enfin Israël arriver j'lui fais des grands signes de la main et je sens mon abdomen se crisper brièvement, ça a tiré sur la cicatrice. Allez savoir pourquoi on a gardé contact tous les deux, mais à priori à partir du moment où on n'avait pas couché ensemble ça m'avait semblé une meilleure idée que si on l'avait fait. L'un comme l'autre on n'est pas les plus avares de communication par écran interposés, alors on s'est donné rendez-vous ici.

"Salut Is' !"

On ne pouvait pas dire qu'il s'agissait d'un café de qualité premium, mais il avait le mérite d'être chaud. Comme je savais son arrivée imminente, j'en avais également pris un pour Lucie.

"Tiens. Comment va ton appendicite ?"
C'était le nom de code que je donnais à sa blessure. Moins suspect pour les conversations en public.

Je me tournais vers la mairie.
"On dirait que les volets sont fermés. Mauvaise idée de sa part..."

Ne pas rentrer dans trois personnes en le rejoignant est un sport plutôt rude, le parvis est noir de manifestants. Le surnom qu'il donne à mon petit incident me fait sourire.

"Toujours sensible, mais au moins elle n'est plus là !" dis-je en m'emparant du café qu'il me tend, lâchant un merci de circonstances. J'acquiesce en regardant ladite fenêtre. "Imagine en fait il n'est même pas là et on se gèle le cul pour rien !"

"C'est peut-être le cas... S'il s'est enfuit par derrière. Les veilleurs de quartier sont là depuis cinq heure du mat', paraît. Ils l'ont vu rentrer."

Tout en parlant, je les cherchais du regard. Pas facile, dans la foule. Des slogans claqués au sol retentissaient qui me foutaient un peu la honte.
"Y a même un stand à hot-dogs improvisé. Si c'est pas de l'esprit d'entreprise, ça..."

Sur le présentoir était écrit le prix des 'bites du maire avec leur pain.' : $3.

OH MY GOD! Je ne peux pas m'empêcher d'éclater de rire en découvrant le slogan du stand de hot-dogs. Ce qui a malheureusement deux conséquences : faire déborder un peu de café sur mes doigts, et me faire grimacer quand l'appendice se réveille... Me voilà qui parle comme Is'.

"On devrait p't'être aller l'attendre derrière non ?"

L'expression sur le visage de Lucie pouvait tout aussi bien venir de ses doigts brûlés que de sa blessure de guerre sollicitée. Mais je n'allais tout de même pas plaindre quelqu'un qui bénéficiait d'un arrêt maladie payé, enfin !

"Hum, bonne idée : y'aura moins d'monde."

Nous nous mîmes en marche.
"J'ai entendu dire qu'ils entassaient des poubelles, de l'aut' côté, pour l'empêcher d'filer en douce."

Une belle métaphore.

On va donc passer par derrière. A ne pas sortir de son contexte celle-là. Bref. On commence à faire le tour du bâtiment quand soudain je me stoppe. Je fais demi-tour.

"C'est Dupont à quatre heure non ?"

Rien qu'à entendre ce nom, je sentis les ennuis poindre. Par réflexe, je m'engonçai et balayai furtivement la foule du regard.

"L'ai vu qu'une fois, moi. C'est ton collègue et tu le reconnais pas ?"

A l'oral, impossible de savoir si elle parlait de Dupond ou Dupont. Les roux et les moustachus étaient plus nombreux que je ne l'aurait cru.

"Tu parles du quel ? Il est en service ou dans la manif' ?"

"Il est en service. A côté de l'entrée principale... Tu crois que ça la fout mal s'il nous voit tous les deux?"

Spoiler : oui. Trois fois oui. Parce qu'évidemment, j'pense pas qu'il ait oublié la tronche de celui qui lui a fait taxer le badge de son voisin... Mais moi il me connait. Je tire mon bonnet sur mes oreilles comme s'il pouvait me dissimuler.

"Ah."

Ca répondait mieux à sa question qu'un simple 'oui'. Je n'avais clairement pas envie qu'il me voie. En fait, je lui tournai déjà le dos pour ne pas être reconnu. Heureusement que j'avais pris ma casquette à oreillettes.

"J'propose qu'on cherche une autre entrée. Genre, en passant par le chemin opposé. J'suis sûr qu'y doit y avoir moyen d'trouver une ruelle ou... Au pire, on passe par l'arrière-boutique d'un restaurant chinois, comme dans les films."

Grand merci de comprendre ma réticence à aller taper la bise à mon grand pote Dupont. J'hoche positivement la tête.

"Oui on va tenter par l'autre côté, ce sera un peu plus long mais... On va passer devant un super tacos, ça en vaut la peine !"

La bouffe il n'y a que ça de vrai !

Et c'était reparti sur le chapitre de la bouffe.

"Nan, nan, j'mange pas d'ce pain là : déjà, la bouffe mexicaine m'anéantit l'bide. Et puis si on mange comme des porcs à chaque fois qu'on s'voit, tu vas m'accuser d'te faire grossir. J'connais l'truc ; toutes les filles cherchent un bouffe émissaire."

Mais alors qu'on jouait des coudes, nous arrivâmes devant le fameux tacos.

"Cela dit, y'aura p't-être une porte derrière..."

"T'es si vieux que ça pour que le mexicain te fasse aussi mal à la sortie qu'à l'entrée ?"

J'sais pas, selon ma mythologie personnelle c'est le genre de truc qui n'arrivent qu'aux vieux, genre aux cinquantenaires !'fin les vieux quoi ! Et bien que dégarni Is a pas l'air si... vieux ?

Râlant avec un accent enfiévré de tabagisme intensif, le cuistot du New York Chily semblait en pleine scène avec sa femme, qui cuisinait aussi.

"Et toi, t'es si jeune qu'ça, pour qu'le mexicain t'fasse mal à l'entrée ?" Lui dis-je, avec un sourire narquois. En vérité, la dispute conjugale était la vraie raison de mon sourire. Manif' oblige, le restaurant était pris d'assaut ; matin oblige, les clients commandaient plus volontiers du café que des burritos.

"Un plan ?"

"Alors tu prends à droite tu te bas avec le type là, et moi j'm'incruste discret par la gauche dans la file ?" je propose avec un sourire mi-figue mi raisin, ne m'attendant pas à ce qu'il accepte cette proposition farfelue. Il m'a demandé un plan, mais n'a jamais demandé un bon plan...

Ne sachant que répondre, je croisai les bras et la regardai avec un air désapprobateur.
"C'est un restau' mexicain : la file, c'est pour aller bouffer. Et l'temps qu'tu t'achètes tes enchiladas, le maire se s'ra construit un hélico' pour fuir par le toit."

Je venais de réaliser, trop tard, avoir lancé une idée qui allait peut-être un peu trop rapidement circuler dans la foule, si jamais quelqu'un réalisait qu'on pouvait accéder à la mairie par là. Alors je fis mine de rien.

PArce qu'il est mécano Ducon ? Non mais je sais qu'il se paie ma tronche.

"Ok j'ai compris,pas de bouffe. J'te préviens j'suis grincheuse quand j'fais des hypoglycémies..." Même si j'ai pas besoin de ça...

Nous dépassent donc le restaurant de toutes les convoitises et tournons sur une rue un peu plus loin.

Evidemment, la manifestation ne s'étendait pas à l'infini. Une fois arrivés sur l'autre rue du carrefour dont le New York Chilly faisait l'angle, la population se résumait aux passants qui lançaient des coups d'œil curieux ou désapprobateurs.

Il ne nous fallut pas une minute pour tomber sur une ruelle sombre.
"A croire qu'toute la presse papier finit ici." Dis-je, en désignant les rubriques faits divers et autres petites annonces collées aux poubelles par l'humidité.

Durant un instant je ne comprends pas où il veut en venir, mais  après une demi seconde d'observation ça devient évident.

"J'espère que tu n'es pas un tueur en série, ce serait le lieu de crime parfait."

Glauque au possible, on s'attendrait presque à trouver un macchabé ou un toxico couché entre deux poubelles. Poubelles dans lesquelles finit mon gobelet de café vide... tant qu'à faire !

A l'écouter, on n'aurait pas dit qu'elle était flic. Une ruelle qu'on pouvait voir directement depuis une route fréquentée, un lieu de crime parfait ? Il fallait vraiment avoir un plan machiavélique pour rendre ça vrai.

"J'suis seulement un tueur en skateboard. Allez, Whodonnut, c'est l'moment d'utiliser not' sens de l'orientation : doit bien y avoir de quoi rejoindre l'arrière boutique du maire, par là."

Aussitôt dit, je m'engageai dans les ténèbres.

"Non, sérieux ? Whodonnut ? Tu m'as habituée à mieux ! "

Il n'a pas saisi l'intérêt de ce lieu, invisible et pourtant si proche des passants. Glauque à souhait.

" Je dirais qu'on doit tourner ici..."

Sûrs de nous à 50 %, nous nous enfonçâmes dans la ruelle. En tout bien tout honneur. Au détour du chemin, on pouvait tomber sur tout : un gang en plein deal, une mamie en pleine session de breakdance, l'armoire magique...

"Holly sh..."

Le maire voulait vraiment fuir incognito, pour s'être déguisé en femme. Tombant nez-à-nez avec nous, il serra son hijab d'appréhension, mais des cris retentirent.

"Oh mon Dieu, il faut me cacher ! Pitié !"

Ses yeux de teckel imploraient.

Lorsque je capte qui est la mamie qui nous fait face je suis partagée entre mourir de rire et me facepalmer.

"Faites demi-tour mon brave, quand on a des opinions aussi merdiques on doit les assumer. On n'est pas français, vous ne risquez rien."

Je souris.

"Par contre si vous tentez de fuir, je hurle que vous êtes ici.."