Rappel du premier message :



'Fais un weekend en campagne', qu'ils ont dit. 'Ça te fera du bien.'

Mon œil, oui !

Oksana venait tout juste de descendre à la gare de Tomsk et l'air 'frais' qu'on lui avait promis était déjà remplacé par l'odeur incontestable de merde de cheval. Ils avaient encore des chariots ici ! Des chariots tiré par des chevaux qui faisaient leurs besoins par terre là où marchaient des gens. Incroyable ce manque d'adaptation. Nous sommes à la fin de XIX^ème ou bien... ?

Elle descendit les marches avec un soupire. Le valet suivit avec ses valises alors que Ludmila porta ses boîtes à chapeau. Elle en avait pris que trois pour le weekend. C'est pas comme s'il y avait ample occasion de les porter. Quelles sont les activités populaires à la campagne sauf la chasse (activité à laquelle elle ne pouvait pas participer vu son 'état') ?

Pitié, faites qu'elle ne doit pas faire de la broderie pendant 48h où elle risque devenir folle.

Bon, il est où ce chauffeur ?

Il aurait déjà dû être présent. Elle avait bien annoncé l'heure d'arrivée de son train, n'est-ce pas ?

Matvei, tu peux déposer les valises. Tu vas te tordre les bras à les porter comme ça. Va plutôt voir où traîne le chauffeur que le majordome aurait envoyé pour nous récupérer.

Oui, Madame.

"Mais... mais..." A cause de ses sanglots, Anoushka n'arrivait pas à articuler plus que deux mots. Elle sauta à bas de sa chaise et fit vivement le tour de la table pour enserrer délicatement le ventre d'Oksana (elle avait un bébé après tout !) "J'suis d'zolée !" répéta-t-elle chouinant dans ses robes.

Et maintenant elle éparpillait ses crottes de nez sur sa robe. Ludmila allait être ravie de devoir nettoyer sa robe dès l'arrivée à la maison de campagne ! C'est pas grave, j'ai dit. Tu es pardonné. Elle plaça une main réconfortante sur la chevelure de la petite fille. Arrête de pleurer plutôt. Les grandes filles ne pleurent pas.

Quelques hoquets la secouèrent encore alors qu'elle essayait de se calmer. Anoushka se décala d'Oksana pour essuyer son visage mouillé d'un revers de la manche, la lèvre encore tremblotante. "Mais... mais... j'vous ai fait mal..." Et elle était prête à repartir en larmes. "J'suis une mau..mauvaise fi...fille ?" demanda-t-elle entre deux sanglots.

Tu ne m'as pas blessé. Elle portait pas la responsabilité de la mort de son mari, après tout. Si Oksana était encore en colère contre quelqu'un, c'était bien Ilya lui-même. Et tu n'es pas mauvaise. Mais tu as de sacré mauvaises habitudes... Allez, arrête de pleurer.

"C'vrai ? Ouff..." Rassurée par l'assurance qu'elle n'avait rien fait de mal, Anoushka réussit à calmer ses larmes, reniflant dans sa manche. Dès qu'elle ne fut plus secouée de sanglots, elle sourit à Oksana, les lèvres un peu tremblotantes. "C'est bon, vous z'êtes reposée ? On peut aller chercher l'Andrei, maintenant ? Et la Grande rue, aussi." Son ami lui manquait tellement !

Au moins la tristesse passe rapidement avec les enfants. Oui. Il nous manque que Lu— ah, les voilà. Ludmila n'avait pas l'air particulièrement reposé, mais cette bonne femme se baladait toujours avec un visage visiblement rempli de soucis depuis l'annonce de sa grossesse. Matvei, lui, devrait être capable de continuer le trajet avec ses valises aussi.

Comme elle ne voulait vraiment pas prendre le risque, une nouvelle fois, d'être une méchante fille par ignorance, Anoushka trottina vers Matvei et le fixa avec de grands yeux attentifs. "Z'allez bien ? Elles ne sont pas trrop lourdes les valises ? J'peux vous aider ?" Elle se tourna ensuite vers Ludmila. "Et vous m'dame, vous semblez encore fatiguée, vous voulez pas encore vous reposer ?"

Elle était très aimable soudainement, la petite. Oksana échangea un regard avec sa domestique qui ne fit que répondre calmement qu'elle allait très bien. Elles sont un peu trop lourde pour toi, je pense. Si elles étaient déjà trop lourde pour Matvei, c'est sûr et certain qu'elle allait avoir du mal avec ses petits bras. Montre-nous plutôt par où aller, Anoushka.

Elle n'aurait jamais dû venir ici. Elle avait à peine quitter le train et les ennuis avaient commencé. Comment ça "reposant" ? Bon, commença-t-elle après un long soupire. Matvei, va me trouver ce chauffeur. Ludmila, reste ici avec les bagages. Je vais accompagner la petite. Ah. La grande, je veux dire, évidemment. Elle adressa un petit sourire à Anoushka. On va trouver ton amoureux ?

Sûr qu'il y avait au moins trois hommes nommés Andrei qui tournèrent la tête aux cris d'Anoushka. Elle avait de puissants poumons pour une fille aussi jeune. Maintenant qu'elle était lancé et qu'Oksana était dans tous les cas déjà associé à la petite (rien à faire pour ça), la dame en deuil en profita pour joindre sa voix à celle de la petite Anou. ANDREI ! Autant se ridiculiser complètement, n'est-ce pas ?

Et bah dis-donc. La petite n'avait pas exagéré quand elle avait dit que c'était un amour fou. Oksana était étonnée qu'ils en étaient capable. Je vois que tu as retrouvé ton Andrei. Tant mieux. Elle n'avait pas à se soucier pour retrouver ses gardiens dans ce cas. Elle n'avait aucune envie de passer une journée bloqué sur l'administration à une gendarmerie ou avec la Milice. Je vais retourner à mes affaires alors.

Le garçon était peut-être mature mais il n'avait pas plus de huit ans et demi et cela se voyait. Il regarda la Dame de haut en bas, rougissant au "ton Andrei" puis s'inclina pour la saluer. "Merci d'avoir pris soin d'Anoushka. Je... On va essayer de retrouver l'hôtel." Il semblait un peu intimidé, incertain même, et Anoushka le regarda avec des yeux surpris. "T'sais pas où il est ?" Il rentra les épaules, un peu contrit. "Désolé... dans la panique..."

Oh Dieu Seigneur. C'est pas vrai. Maintenant elle allait devoir accompagner deux enfants au lieu d'un ? Non, non, pas question. Ils cherchaient "l'hôtel". Certainement pas compliqué à retrouver, si ? Ne leur demande pas. Ils s'en sortiront.  Ne leur demande pas. Ils étaient à deux maintenant.  Ne leur demande pas. Rien pourrait leur arriver.  Ne leur deman— Quel hôtel ?

Ils n'avaient même pas le nom de l'hôtel ? Oksana fit une note mentale de jamais confier une tâche à un enfant sous l'âge de dix ans. Possiblement même plus. Vous avez aucune idée de sa localisation spécifique ? On peut peut-être mieux localiser l'hôtel sur un plan alors. A Moscou il y avait des panneaux placés dans les lieux les plus fréquentés pour guider les gens. Surtout aux arrêts des métros aériens. Le "Vous êtes ici" pourrait peut-être leur rafraîchir la mémoire.

Et c'est précisément ce qu'elle pensait. Il y tellement d'églises dans une ville. Qui vous dit que c'est la bonne ? Pas qu'elle voulait complètement les dissuader, mais au moins les faire réfléchir plus d'une minute avant de courir dans un sens au pif comme des poules sans têtes.

Si vous êtes si certain, vous ne m'avez plus besoin, constata Oksana avec soulagement. Elle ne se voyait pas parcourir la ville entière avec deux enfants. Elle aurait eu du mal à les laisser partir si elle était certaine qu'ils se trompaient de localisation, mais le garçon avait tant de confiance... Au moins, à deux ils allaient sûrement se débrouiller.

Un nouveau silence s'étala entre eux alors que les enfants se regardaient en se serrant l'un contre l'autre. "Oui, sans doute." admit Andrei avec une point audible d'hésitation, l'oeil attiré de l'autre côté de l'église sus-nommée dans un doute qui ne passait pas. Anoushka sourit courageusement à la Dame. "Merci !" Mais elle ne sautillait plus.

Que le bon Dieu qui est au ciel la bénisse quand elle rejoint le paradis. La patience dont elle fait preuve en ce moment est digne de celle d'un ange. Le long soupire un peu moins. Je vous accompagne, mais pas plus loin que cette fameuse église.

Les sourires qu'elle reçut alors était bien plus sincère que les rictus précédents. Les deux enfants se dirigèrent vers la première église susnommée. Anoushka espérait que c'était la bonne, elle commençait à avoir sérieusement faim. Pas de sa faute ! La brioche n'avait été qu'un en-cas, et elle n'en avait mangé qu'une, d'abord. Alors qu'ils arrivaient aux abords de l'édifice, une voix grondante éclata subitement alors qu'un homme dans la quarantaine surgissait vers eux : "Andrei Glazdov ! Anoushka Kitaëv ! Fieffés garnements !" Anoushka se cacha dans l'épaule d'Andrei ; le père Glazdov avait vraiment l'air furieux.