Nano. RolePlay

Rappel du premier message :


C'était un rituel qui précédait toute chose. Qu'il soit seul ou non n'avait pas d'importance. Le soleil commençait doucement à descendre sous l'horizon, et la lumière faiblir entre les branches. Avant de commencer, il s'étira, et adressa un sourire aux arbres.
En douceur, des gestes longuement répétés prirent possession de ses membres, de son corps. Il ne faisait qu'un avec l'air qui l'entourait. Sa danse n'avait pourtant rien d'innocent. Il enchaînait les arabesques comme si tout était lié, changeait de rythme au fil de ses passes. Les lames dans ses mains tranchèrent le vide. Un mouvement rapide, qui ne perdait ni en fluidité, ni en charme. Elles retrouvèrent tantôt leur fourreau, sans que la danse ne cesse. Devenue plus lascive, plus voluptueuse, elle n'en restait pas moins dangereuse. Il tendit la main vers la forêt, comme une invitation. Il accusa un arrêt. Ses yeux se troublèrent, sa main trembla.

Tch.

Il fit volte-face, le sang battant à ses tempes, sa peau pâle rosie par l'effort et la passion. Cela durait déjà. Mais il continua. Il répéta des bottes à l'air aussi inoffensives qu'une aubade, dégageant la même flamme. Puis vint l'accalmie. Ses gestes ralentirent, jusqu'à s'arrêter. Il laissa ses bras reposer le long de son corps, légèrement fléchi. Puis il se tourna dans une direction bien précise, qui avait déjà vu partir son sourire. Il s'inclina avec légèreté, artiste signant la fin de son œuvre.

Le dragon blanc, lui, resta stoïque, ne démontrant aucune volonté de l'accompagner. Le danseur s'éloigna donc du campement sans chercher à le convaincre, retrouvant facilement le chemin qu'il venait d'emprunter.

« Fais gaffe, encore un qui va vouloir l’embarquer », siffla Aisling quand les deux eurent disparu dans la forêt. Moira ne résista pas à l’envie de taquiner à son tour la canne : « Tiens tiens, serais-tu inquiète de voir Pim nous quitter ? »

Parvenu auprès de la source, il ne lui fallut que peu de temps pour remplir sa tâche, en même temps que gourde et théière. Il ne put toutefois résister à l'envie de laisser vagabonder ses doigts lestes dans le courant.

« Tu veux aller nager ? », demanda Pim, curieux de ce mouvement. Puis, comme pris d’une inspiration subite : « Tu dois te laver les mains avant de manger ? Moira elle le fait aussi ! Moi pas parce que je mange pas avec les mains. J’ai pas de mains. »

Ses mains affleurant la surface de l'eau qu'il finit par abandonner, le danseur se redressa, se chargeant de son fardeau. Il semblait perdu dans ses pensées, car il éluda la question.

Es-tu bien installé ?

« Oui ! », répondit le petit dragon, parfaitement inconscient des pensées fort occupées du danseur. « Merci ! », ajouta-t-il après un temps d’arrêt, le temps de se rappeler cette règle de politesse élémentaire.

Le danseur répondit d'un sourire, que le dragon-fée n'était pas vraiment en mesure de voir.
Rejoindre la roulotte fut une simple formalité, et il se permit de s'assoir de l'autre côté du feu, non sans laisser les contenants à la portée de Moira. Il ferma les yeux, se contentant un instant de respirer profondément.

Moira remercia le porteur d’eau à son retour, et mit la bouilloire à chauffer à côté du repas. Le silence retomba, rompu uniquement par le bouillonnement du ragoût dans la casserole.

L'odeur n'avait pas échappé aux sens aiguisés du danseur, n'étant visiblement pas pour lui déplaire.

Quel fumet. Cela fait longtemps que je n'ai pas mangé de cuisine au vin.

À dessein ou par un heureux hasard, il avait tapé juste : un commentaire positif à propos de la cuisine de Moira (car elle supposait que le « quel fumet » était positif), était une manière sûre d’entrer dans ses bonnes grâces. « Je séjourne rarement dans des auberges, j’ai rapidement appris à varier ma pitance. »

Rouvrant les yeux pour la regarder remuer la viande, il replia les jambes, s'installant plus à son aise, nonchalant et détendu mais ne négligeant pour autant pas sa posture.

J'y séjourne régulièrement mais ai rarement droit à autant de générosité.

Moira jeta un coup d’oeil étonné à son voisin lorsqu’il commenta la générosité des auberges. « Tu es artiste, non ? » Quelle auberge ne prenait pas soin des artistes qui en égayaient les salles communes, surtout lorsqu’ils avaient le talent de ce jeune homme ? À moins que sa danse ne soit qu'un art auquel il s'adonne en solitaire ? Dans ce cas, elle s'estimait d'autant plus heureuse d'avoir pu y assister.

Je le suis.

Ses yeux noirs détaillèrent le visage de l'humaine, que sa déclaration semblait surprendre. Il secoua une main indolente devant lui.

Le gîte et le couvert semble déjà cher payé pour certains.

Décidément, outrée, Moira leva un sourcil : « Cher payé ? Combien d’entre eux doivent un afflux de clients aux artistes qui se produisent dans leurs salles ? » À vrai dire, ces spectacles étaient une des rares raisons qui pouvaient la pousser à passer la porte d'une auberge plutôt que de passer la soirée dans le confort de sa roulotte.

Les paupières légèrement abaissées et un sourire ambivalent flottant sur ses lèvres, le danseur tout en finesse haussa les épaules.

C'est tout le paradoxe d'être nourri avant d'avoir fait ses preuves.

Ses yeux noirs accrochèrent le léger bouillonnement. Il avait comme une pointe de nostalgie dans la voix.

Mon souvenir remonte à plus loin que ça.

Un argument bien faible aux yeux de Moira. Leur repas était entre-temps prêt, et elle remplit deux assiettes en bois d’une généreuse portion. Elle ne manqua toutefois pas le changement de ton dans la phrase suivante de son invité. « Comment cela ? »

Détournant légèrement la question alors qu'il prenait l'assiette, à défaut de l'écarter complètement, la nostalgie resta subtilement ancrée dans ses yeux.

En réalité je consomme rarement d'alcool.

La réplique sans rapport apparent avec la question qu’elle venait de poser déstabilisa un moment Moira. Elle n’insista toutefois pas, ne voulant pas remuer un sujet potentiellement sensible qu’il ne semblait pas vouloir aborder. Elle se contenta donc de répondre à sa diversion : « Dans une sauce pareille, l’alcool à proprement parler s’évapore, tu en auras le goût sans les effets. »

Loin de tout faux semblant, le danseur huma l'assiette, anticipant le repas avec un plaisir non dissimulé. Ses yeux se relevèrent sur la roulotte avant qu'il ne les détourne. Sa voix vacilla légèrement.

Merci.

La remerciait-il pour ce repas qu’il semblait apprécier, ou était-ce un remerciement plus général, et plus abstrait ? C’était là une question qu’elle ne poserait pas. Contrairement à Pim, elle savait filtrer les pensées qui passaient ses lèvres. « De rien », fut sa seule réponse, souriante et chaleureuse.

La reconnaissance ne remplissait pas l'estomac, mais le danseur attendit que son hôtesse entame son propre repas pour l'imiter. Il fit sobrement honneur à sa cuisine, sa réserve et son silence se montrant plus éloquents des mots.

Le silence convenait aussi bien à Moira, peu gênée par l’absence de conversation. Une fois que Pim daigna descendre de son perchoir, elle lui servit une bien plus petite portion dans une nouvelle assiette, avant de lever les yeux vers le toit de sa roulotte. « Et toi, toujours pas faim ? »

Penché sur le rebord du toit, le dragon n'avait pas manqué une miette du repas - dont il était pourtant resté spectateur.

Je n'ai faim que de fruits.

La réflexion amena un sourire sur les lèvres de son compagnon de voyage. Il ne s'attarda cependant pas à répondre à la place de quiconque, et se releva. Il revint rapidement près du feu avec une serviette et un peigne d'ivoire. Sa chevelure désormais libérée lui donnait enfin l'occasion de réellement s'en occuper.

Que ne l’avait-il dit plus tôt ! La main de Moira plongea une nouvelle fois dans un des sacs, pour en ressortir une petite boite en bois qu’elle ouvrit pour révéler des baies fraîchement cueillies. « Alors comme ça tu commences par le dessert ? », taquina-t-elle le dragonneau. Elle reporta ensuite son attention sur le danseur : « Ton art t’est propre, ou c’est une sorte de danse pratiquée par d’autres aussi ? » Elle était pour le moins curieuse, n’ayant jamais assisté à un spectacle du genre auparavant.

Cette nouvelle activité occupait autant ses mains que le silence, et quand bien même celui-ci ne dura pas, ses doigts poursuivirent leur danse. Il regarda son compagnon à écaille avec une certaine connivence.

S'il avait vraiment faim, il serait allé en chercher.

La même malice faisait scintiller son regard face à l'humaine.

Je n'ai connu personne pratiquant le même art.