Nano. RolePlay

C'était un rituel qui précédait toute chose. Qu'il soit seul ou non n'avait pas d'importance. Le soleil commençait doucement à descendre sous l'horizon, et la lumière faiblir entre les branches. Avant de commencer, il s'étira, et adressa un sourire aux arbres.
En douceur, des gestes longuement répétés prirent possession de ses membres, de son corps. Il ne faisait qu'un avec l'air qui l'entourait. Sa danse n'avait pourtant rien d'innocent. Il enchaînait les arabesques comme si tout était lié, changeait de rythme au fil de ses passes. Les lames dans ses mains tranchèrent le vide. Un mouvement rapide, qui ne perdait ni en fluidité, ni en charme. Elles retrouvèrent tantôt leur fourreau, sans que la danse ne cesse. Devenue plus lascive, plus voluptueuse, elle n'en restait pas moins dangereuse. Il tendit la main vers la forêt, comme une invitation. Il accusa un arrêt. Ses yeux se troublèrent, sa main trembla.

Tch.

Il fit volte-face, le sang battant à ses tempes, sa peau pâle rosie par l'effort et la passion. Cela durait déjà. Mais il continua. Il répéta des bottes à l'air aussi inoffensives qu'une aubade, dégageant la même flamme. Puis vint l'accalmie. Ses gestes ralentirent, jusqu'à s'arrêter. Il laissa ses bras reposer le long de son corps, légèrement fléchi. Puis il se tourna dans une direction bien précise, qui avait déjà vu partir son sourire. Il s'inclina avec légèreté, artiste signant la fin de son œuvre.

Routine habituelle de fin de journée, Moira avait dételé Ninian et bloqué les roues de la carriole avant de partir en quête d’eau potable et de bois sur le feu. Cette routine fut toutefois interrompue par un spectacle qui captiva son attention. À moitié dissimulée par les arbres, elle s’immobilisa pour ne pas déranger la danse si fluide et pourtant risquée d’un artiste avec ses lames pour seules cavalières. Ou du moins, elle resta dissimulée jusqu’au moment où ledit artiste clôtura sa démonstration de virtuosité par un salut qui lui était clairement destiné. Bon public, elle applaudit en quittant le couvert des arbres.

Se redressant, il détailla un peu plus l'observatrice qui lui était venue jusqu'à lui.

J'espère que le spectacle fut à la hauteur de tes attentes.

Vêtu d'une simple chemise blanche et d'un pantalon guère plus sophistiqué, l'artiste était tout en contrastes. Le noir de ses yeux et de ses lèvres ressortait sur sa peau, qui même de près était aussi pâle que le lait. Il s'essuya le front, et s'accorda un répit, s'asseyant - ou plutôt s'accroupissant - sur ses chevilles, sans détourner le regard. Il avait dansé pieds nus.

« À la hauteur de mes attentes ? Mes attentes ce soir étaient de trouver du bois pour le feu et de quoi boire, pas d’assister à un spectacle digne des sagas antiques. Félécitations, maître danseur — ou maître épéiste ? » Quelque part dans ses cheveux, elle sentait Pim s’agiter d’excitation, et même Aisling n’avait pas de commentaire sarcastique à faire, pour une fois.

Les lèvres noires s'arquèrent légèrement, répondant autant à la profondeur du compliment qu'à la mention de titres jusqu'alors inconnus.

Je ne saurais être appelé "maître". Vois-tu une épée ici ?

« Tsk tsk tsk, où est donc passé ton sens du spectacle tout d’un coup ? Un bon nom est la clef de la légende, et ‘maître épéiste’ sonne mieux que ‘danseur à dagues », contra Moira d’un ton taquin.

Certes. Le sourire du danseur fit briller les profondeurs obsidiennes devant l'humour inattendu de son interlocutrice. Le nom toutefois importe moins que les actes.

Tiens, elle connaissait un dragon qui serait probablement d’un avis différent. « Mais le souvenir des actes sans nom les rend impersonnels et distants. » « Quelle philosophe tu es », railla Aisling. « Et toi une vieille grincheuse », répliqua Moira.

Je laisse la reconnaissance et la célébrité à d'autres.

L'artiste se releva prudemment, baissant les yeux sur son maigre bivouac. Il les releva toutefois à l'écoute d'une voix étrangère. L'ironie teinta sa voix à son tour.

Cette réplique valait la peine d'être entendue.

« Ne l’encourage pas », prévint Moira. « Pff, tu t’ennuierais sans moi, le gosse manque de conversation. » « C’est pas vrai ! », s’offusqua le gosse en question, émergeant de la chevelure de Moira en même temps. L’art de faire dérailler complètement une discussion, mais elle ne leur en voulait pas. « Eh bien faute de reconnaissance, es-tu également opposé aux connaissances ? Je m’appelle Moira, mon soutien caustique est Aisling et le petit dernier s’appelle Pimarimponil. »

Par politesse peut-être, l'artiste retint un rire derrière ses doigts déliés. Je n'ai pas précisé quelle réplique.

Ses yeux noirs découvrirent avec intérêt la totalité de ses interlocuteurs. Il adressa à chacun un regard et un salut, un air rieur flottant sur ses lèvres.

Pas le moins du monde Moira. Je suis également ravi de faire votre connaissance, Aisling, Pimarimponil. Il s'inclina à nouveau, loin d'être formel. Je suis Satel. J'aimerais vous présenter Qil.

« Enchantée, Satel. Et Qil, où qu'il soit. » La vue d’un autre dragon attira immédiatement l’attention de Pim, qui ne rencontrait somme toute que rarement des semblables. Bon, qu’il s’agisse d’un dragon et non d’un dragon-fée lui passait au-dessus de la tête. « Bonjour ! » Il voleta jusqu’au dragonneau. « T’es grand dis ! Mais j’ai déjà vu un dragon encore plus grand ! Il était plus grand que la carriole ! » « Pim, laisse-lui de l’air. » L’exubérance du juvénile était parfois éreintante.

La remarque de la femme explicita le sourire du danseur. Il aime son indépendance.

Quant au jeune dragon, il avait suffit de mentionner son nom pour que sa présence soit remarquée. Lové dans les branches au dessus du campement, il ne bougea pas d'une écaille, même quand on l'approcha. Ses yeux noirs suivirent avec une certaine curiosité le manège du dragon-fée, sans qu'il ne daigne répondre immédiatement.

« Je vois ça. » Ou plutôt, elle ne le voyait pas, et voyait donc qu’il restait en retrait. Pim, pour sa part, ne tarda pas à revenir se percher sur son épaule, déçu du manque de réaction de l’autre dragon. « Notre campement est à quelques pas d’ici, veux-tu te joindre à nous pour le repas du soir, Satel, maître épéiste ? »

Les yeux noirs suivaient toujours le vol du minuscule dragon, jusqu'à ce qu'il retrouve son perchoir. En contrebas, l'artiste accueillait l'invitation de bonne grâce.

Volontiers, si tu permets que je me rende présentable auparavant.

Le dragon blanc quitta sa branche et se laissa planer jusqu'à l'épaule du danseur, et y posa ses antérieurs, laissant le reste de son corps pendouiller dans son dos. Sans se laisser déstabiliser, ce dernier posa la main sur sa tête.

Bonjour mon ami. Ne voulais-tu pas danser avec moi ?

« À ton aise, je ne vais nulle part avant demain matin. » Elle observa avec intérêt l’arrivée du compagnon de voyage indépendant de son interlocuteur. Plus grand que Pim, en effet (comme tous les dragons non-fée), mais vu sa taille il devait également s’agir d’un juvénile.

Pour toute réponse le museau du dragon poussa la main blanche vers le haut. L'artiste laissa échapper un rire. Accompagne-moi la prochaine fois. Puis, à ses nouvelles connaissances, sur un ton d'excuse : Il ne parle jamais beaucoup.
La queue blanche s'était enroulée autour de sa taille, gage de son équilibre sur le corps en perpétuel mouvement.

Si l'artiste n'était jamais resté complètement immobile, il rassembla cette fois de manière très pragmatique ses maigres possessions. Comprenant une paire de bottes, qu'il garda à la main.

Je vais à la source. Je rapporterai de l'eau quand j'aurais terminé.

Timide, ou simplement peu loquace, ce dragonnet ? Qu’importe, chacun son mode de communication préféré. Moira observa en silence l’artiste rassembler ses affaires, danse moins évidente mais non moins fluide que celle à laquelle elle venait d’assister. « Trouveras-tu notre campement depuis la source ? Normalement tu devrais voir la lumière à l’intérieur de notre carriole. » Mais elle préférait s’assurer que ce serait bien le cas, il serait bête de voir leur rencontre écourtée par un simple détail pratique.

Un fin sourire étira les lèvres noires.

Je trouverai.

Ses doigts passèrent sous le menton du dragon, avant qu'il ne se détourne. Le lieu de son campement ne devait rien au hasard.

Eh bien voilà qui venait d’alléger une partie de ses tâches du soir. Si Aisling s’opposait à cet invité imprévu, elle ne commenta pas. Pim, pour sa part, trépignait déjà d’impatience en voyant le danseur se fondre dans les ombres de la forêt. Moira, elle, revint sur ses pas et ramassa de quoi allumer un feu de camp, avant de rentrer au campement et d’aller allumer quelques bougies dans la carriole. Elle s’attela en suite à la mise en place du feu de camp.

Quelque temps passa avant que Moira ne voie plus que ses compagnons habituels. Mais le premier à rejoindre la caravane ne fut pas l'artiste tout de blanc vêtu.

Le jeune dragon fendit les feuillages et termina son vol par une cabriole - évidemment parfaitement maîtrisée - avant d'atterrir très élégamment - non - à côté de l'humaine.

L’arrivée de l’autre dragonneau fit à nouveau bondir Pim de son perchoir. « Rebonjour ! » Il volesautilla jusqu’au nouvel arrivant pour lui tourner autour avec excitation. Moira le laissa à son manège tant qu’il ne semblait pas déranger l’autre dragon et, une fois le feu allumé, elle sortit de son sac à provisions de quoi préparer le repas du soir.

Se redressant avec une fierté que démentait ses écailles blanches maculées de terre, le jeune dragon tendit le museau vers son minuscule semblable. Et d'une voix fine, dont la douceur n'était pas sans évoquer celle de l'artiste qu'il accompagnait, il se décida à parler pour la première fois.

Bonjour.

Tiens, il s’était décidé à parler. Et s’il répondait à Pim, c’était que ce dernier ne le dérangeait pas. « Toi aussi tu sais danser ? », poursivit-il, ravi de rencontrer un nouveau dragon potentiellement doué lui aussi d’un talent inédit. Pendant ce temps, Moira avait suspendu au-dessus du feu une casserole qui avait clairement bien vécu en vue d’y préparer un ragoût et commençait à couper la viande en morceaux. « Tu as faim ? », demanda-t-elle à Qil en montrant un bout de viande.

Un long silence suivit la question du dragon-fée, mais les yeux noirs n'avaient cessé de suivre ses mouvements autour de lui.

Je danse avec lui.

Par distraction peut-être, l'interrogation de Moira en revanche, resta en suspens. Il commençait à frotter ses écailles maculées.