Il était une fois un petit chaneton qui vivait seul au bord d’un petit étang, dans une petite maisonnette avec des murs blancs et un toit rose. Il avait de gentils voisins et vivait une petite vie tranquille. Depuis quelques jours, de blancs flocons étaient venus adoucir les formes sombres des arbres dépouillés de leurs feuilles.
Un jour d’hiver donc, une créature ailée d’une splendeur incomparable descendit du ciel et se posa devant sa maison. Elle avait une auréole autour de la tête et brillait de mille feux.
- Chaneton, petit chaneton, m'accueilleras-tu dans ta maison ?
Le chaneton était un être gentil et serviable, et l’apparition était magnifique, alors il n’y réfléchit pas à deux fois.
- Bien sûr, entrez donc !
L’apparition le remercia et entra dans la maisonnette au toit rose. Le chaneton l’installa près de la cheminée et lui proposa à manger et à boire. Il s’affaira autour d’elle jusqu’à ce que l’apparition soupire de contentement. Alors elle parla :
- Tu as été un chaneton très mignon,et je souhaite te remercier de ton accueil. En conséquence je te fais cadeau de quatre vœux.
Le chaneton stupéfait se confondit en remerciement, assurant que ce n’était pas nécessaire, mais l’apparition n’en démordit pas. Alors le chaneton, qui possédait une bibliothèque plutôt bien garnie, osa poser la question qui le turlupinait :
- Pardonnez ma question audacieuse, mais les vœux ne vont-il pas par trois d’ordinaire ?
L’apparition sourit avec indulgence.
- Si. Mais ici, c’est quatre lignes et c’est quatre souhaits, ne discute pas !
Le chaneton hocha la tête avec empressement, il n’avait pas envie de contrarier l’apparition.
- Eh bien alors, quel est ton premier vœu ?
Surpris par la question soudaine, le chaneton fut bien embêté. Il ne savait pas quoi répondre. Il aimait sa petite vie tranquille près de l’étang, et n’avait besoin de rien.
C’est ce qu’il dit à l’apparition. Celle-ci hocha la tête avec compréhension.
- Je comprends, petit chaneton, et c’est bien. Mais ces souhaits te sont échus tout de même. Voici ce que nous allons faire. Prends ces quatres cookies. Chaque fois que tu voudras prononcer un vœu, croque dans l’un d’eux et j’apparaitrai.
Le chaneton remercia et remercia encore, et recouvrit les 4 magnifiques cookies d’une cloche de verre pour les protéger jusqu’à ce qu’il puisse les manger. Puis l’apparition disparut après un dernier adieu.
Quelque temps plus tard, le chaneton se promenait tranquillement sur l’étang quand il entendit des gémissements provenant de la berge opposée à celle où se trouvait sa maisonnette au toit rose. Curieux et alarmé, il se dépêcha dans la direction du bruit, espérant qu’il n’était arrivé malheur à personne.
C’était le plus fort de l’hiver et la neige recouvrait totalement la rive de son blanc manteau. Seul un petit bonnet rouge orné d’un grelot dépareillerait, et c’est de ce bonnet que provenaient les gémissements. Le chaneton s’approcha et souleva le bonnet, s’attendant à découvrir en-dessous le propriétaire des gémissements. Sauf que sous le bonnet il n’y avait personne ! Pourtant une voix continuait à gémir.
- Lâche-moi ! Lâche-moi ! Tu me turlupines le pompon, fichu chat-canard ! Repose-moi !
Stupéfait, le chaneton fixa avec des yeux ronds le bonnet parlant et fit ce qu’il lui demandait, le reposant dans la neige. Le bonnet agita son pompon avec soulagement, son tissu tout doux se plissa comme s’il soupirait.
- Aaaah, ça va mieux. Qui es-tu l’ami ?
- C’est plutôt à moi de te poser cette question, répondit le caneton. Qui es-tu et comment es-tu arrivé ici ?
Le caneton était curieux et ravi de cette rencontre. Il avait quelques voisins avec lesquels il s’entendait très bien, mais il aimait rencontrer de nouvelles personnes, surtout d’aussi originales !
- Ah, c’est une longue histoire, mon jeune ami !
Et le bonnet se lança dans une incroyable histoire impliquant un vieux monsieur, des rennes, un grand voyage, et une chute mémorable depuis un traîneau volant.
Le chaneton ne savait pas très bien s’il devait le croire mais il hocha la tête plusieurs fois par politesse.
- Dis-moi, l’ami, tu voudrais bien me soulever ? C’est qu’il commence à faire frisquet, aussi près du sol. Oui voilà, très bien, pose-moi sur ta tête. Oh c’est beaucoup mieux, merci !
Le chaneton était heureux d’avoir pu rendre service, et le bavardage du bonnet l’amusait beaucoup. Alors il lui proposa de l’accompagner chez lui et de partager quelques gâteaux que lui avait amené un voisin le matin même. C’est que le chaneton, s’il n’avait pas beaucoup de défaut, était mauvais cuisinier. Le bonnet accepta avec enthousiasme et les deux compères prirent gaiement la direction de la maisonnette au toit rose.
Le chaneton oublia presque de manger sa part de gâteau tellement il était fasciné par la manière dont le bonnet s’empiffrait avec la sienne. Mais où donc partait toute la nourriture ?! Quand il eut fini, le bonnet demanda :
- Et qu’est-ce que c’est que cela, sous la cloche de verre ?
Alors le chaneton lui raconta toute l’histoire, et le bonnet fut fasciné.
- Mais c’est fantastique ! Comme ça doit être agréable de pouvoir obtenir tout ce que tu souhaites d’un claquement de doigts ! Enfin, d’une bouchée de cookie !
- Voudrais-tu formuler un vœu pour moi ? lui proposa le chaneton. Lui n’avait pas d’idée, alors autant en faire profiter son nouvel ami, non ?
- Non, non, c’est ton vœu, ne le gâche pas pour moi ! répondit le bonnet. Mais quand même, ce serait agréable d’égayer cet endroit, tu ne trouves pas ?
- Égayer ? répéta le chaneton sans comprendre.
- Et bien oui ! C’est un peu triste, ici, non ? Oh, tu es un excellent hôte, je ne dis pas ! Mais enfin, il n’y a pas beaucoup d’animation. Que dirais-tu d’installer une ville de glace juste à côté de la maison ? Là d’où je viens on en construit à tour de bras, avec des automates qui te répondent quand tu leur causes, de jolies lumières multicolores et même des minuscules lutins qui jouent de la musique. Ce ne serait pas agréable d’avoir tout ça pour se divertir au cœur de l’hiver ?
Le chaneton n’avait jamais ressenti le besoin d’avoir tout ça, justement, mais la description du bonnet faisait diablement envie.
- Oui, je suppose que oui, répondit-il, confus.
Sentant son indécision, le bonnet changea de sujet. Mais il revient dessus le lendemain, et le sur-lendemain, entre autres bavardages dont il inondait le chaneton depuis sa position privilégiée sur le haut de sa tête, entre ses oreilles. C’est qu’en quelques jours, il s’était installé dans le quotidien du chaneton et ne semblait pas pressé de rentrer chez lui. Le chaneton était lui aussi content d’avoir de la compagnie, même si parfois il se disait qu’il aimait bien sa tranquillité d’avant.
Un soir, après que le bonnet eut encore décrit en long en large et en travers la magnificence des villes miniatures qu’on faisait chez lui, le chaneton céda et mangea son premier cookie de souhait. L’apparition descendit aussitôt du ciel et exauça son vœu sans commentaire.
Aussitôt une vive musique se fit entendre du dehors, et des reflets lumineux miroitèrent sur les murs du salon. Le chaneton et le bonnet sortir précipitamment et restèrent muets d’émerveillement devant les petites maisons de glaces qui brillaient de mille feux, les villageois automates qui semblaient si vivants, et la musique divine qui emmitouflait le tout dans un cocon féérique.
Ils passèrent le reste de la soirée à s’amuser dans la ville de lumière, bien après le départ de l’apparition. C’est pourquoi le lendemain, ce fut un chaneton fatigué qui se dirigea vers la porte à laquelle on frappait avec insistance.
- Oui, oui, j’arrive. Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il d’une voix fatiguée en ouvrant la porte.
De l’autre côté se tenait son amie la chouette, l’air passablement agacée.
- Bonjour chaneton, commença-t-elle, restant polie malgré son énervement. Pourrais-tu m’expliquer ce qu’est cette… chose qui se trouve maintenant juste à côté de ta maison, qui brille beaucoup trop fort et fait plus de bruit que toute une famille de canards réunis ?
- C’est une ville de glace, répondit le chaneton, sa voix vibrant encore de l’émerveillement de la veille. N’est-elle pas magnifique ?
- Magnifique ? C’est tout ce que tu trouves à répondre ?! C’est une plaie, voilà ce que c’est !
- Mais enfin, mon amie... tenta de se défendre le chaneton.
- Ton amie, rien du tout ! Je ne m’acoquine pas avec des tapageurs nocturnes ! Je tiens à mon sommeil, moi ! Ne compte plus sur moi pour t’apporter des gateaux tant que tu ne te seras pas débarrassé de cette horreur !
Sur ce, la chouette tourna les talons, laissant un chaneton désolé et désemparé sur le pas de la porte. Plus tard ce matin-là, il raconta la scène au bonnet, qui se contenta de soupirer d’un air désabusé.
- Certains ne savent pas profiter des bonnes choses, mon pauvre ami. Ne te mets pas martel en tête pour ça, allons ! Que dirais-tu de retourner profiter de la ville de glace ?
Et c’est ce qu’il firent, s’amusant toute la journée, avant de rentrer boire un chocolat chaud bien mérité et de dîner de cookies salés. Les jours passèrent ainsi, mais le chaneton se lassait de plus en plus de la ville de glace, et se languissait de plus en plus de ses amis qui ne venaient plus le voir depuis que le bonnet était entré dans sa vie.
Un jour, un autre de ses voisins se présenta à sa porte en grinçant. Car ce voisin était une armure, et avec l’hiver ses articulations crissaient de manière désagréable, lui provoquant en plus des maux de casque.
- Chaneton, mon ami chaneton, on m’a dit qu’un ange t'avait fait cadeau de trois voeux. Seras-tu un bon ami et m’en donneras-tu un pour que je sois débarrassé de ces grincements qui font de ma vie un enfer ?
Mais avant que le chaneton puisse répondre, le bonnet s’indigna.
- Ca pas exemple ! Mais quel genre d’ami est-ce là, qui vient voler ce qui ne lui appartient pas pour son bénéfice personnel ? Je ne vous dit pas bravo, madame l’armure ! Ces souhaits ne vous appartiennent pas, et ils ont été offerts au chaneton pour des choses bien plus importantes que réparer la négligence d’une armure qui ne sait pas prendre soin d’elle !
L’armure s’étouffa d’indignation, voulut répondre mais le bonnet ne lui en laissa pas le temps.
- Se servir de ses amis comme ça ? Je ne sais pas vous mais je trouve ça déplorable. Vous devriez avoir honte, oui oui ! Vous êtes une armure bien malpolie !
- Moi, malpolie ?! Eh bien, si c’est comme ça, l’horrible armure va voir ailleurs. Et ne compte pas sur moi la prochaine fois que tu auras besoin d’aide, chaneton !
Choqué de la tournure des évènements, le chaneton ne put que regarder l’armure s’éloigner sans rien dire. Quand il eut enfin repris ses esprits, il retira le bonnet de sa tête et le posa sur la table, puis pointa sur lui un doigt accusateur.
- Pourquoi traites-tu mes amis de cette façon ? Je voulais l’aider, et je lui aurais donné ce vœu.
- Ne dis pas de bêtises, chaneton…
- Toi, arrêtes de dire des bêtises ! Tu dis n’importe quoi !
- Mais enfin écoutes-moi ! Il voulait se servir de toi !
- Non ! Non, je ne t’écouterais plus !
Et sur ses mots, pleins de colère et de tristesse, le chaneton se dirigea vers le buffet sur lequel trônait les cookies de voeu sous leur cloche de verre, et croqua dans l’un d’entre eux.
- J’aimerais que ce bonnet disparaisse de ma vie !
Aussitôt dit, aussitôt fait ! L’ange apparut dans un éclair, pointa le bonnet du doigt et le fit disparaître dans un “pop” bruyant. Soudain, le chaneton s’inquiéta. Avait-il fait souhaité quelque chose d’irréparable ?
- Ô, ange de lumière, où avez-vous envoyé le bonnet ?
- Ne t’inquiète pas, gentil chaneton. Je l’ai simplement renvoyé chez lui, auprès de ses semblables et de ces lutins qui construisent des villes de glaces.
- Oh ! Ce fut tout ce que le chaneton soulagé trouva à répondre.
Puis il remercia l’apparition, leur cœur lourd, regrettant déjà ce qu’il avait fait sous le coup de la colère. Il passa le reste de la journée à soupirer. Le babillage incessant du bonnet, pour agaçant qu’il ait pu être parfois, lui manquait. Ses amis, maintenant en colère contre lui, lui manquaient. Après un dernier soupir, le chaneton alla se coucher tôt.
Les jours suivants filèrent dans une tristesse morne. La ville de glace était à l’abandon. Il avait renvoyé les musiciens, éteint les lumières, et les maisons si brillantes dans le soleil d’hiver n’attendaient que le redoux pour disparaître.
Lorsque la chouette, attirée par le calme et le silence revenus, vint aux nouvelles, elle trouva le chaneton faisant tristement des tours sur l’eau.
- Eh, oh, chaneton ! Peux-tu me rejoindre sur la rive ?
Le chaneton s’exécuta, heureux de voir un de ses amis même si elle était sans doute encore en colère contre lui. La chouette examina le petit chaneton d’un œil critique.
- Tu as mauvaise mine, mon ami. Qu’est-ce qui te met dans cet état ?
- Je me sens seul et triste. J’ai faché tous mes amis et me suis débarrassé du dernier qui me restait dans un moment de colère.
- Allons, allons, je suis bien là, moi !
- Mais tu m’en veux du bruit et des lumières qui t’empêchent de dormir.
- Certes, c’était le cas. Mais je ne vois plus ces lumières agressives ni n’entend de cacophonie ici, alors pourquoi serais-je encore en colère ? Allons, caneton, haut les coeurs ! Allons partager un bout de gâteau ensemble.
C’est ce qu’il firent, et le chaneton raconta à son amie chouette toutes ses aventures.
- Eh bien, quelle histoire ! Mais si je peux te donner un conseil, tu devrais aller voir notre amie l’armure et t’excuser. Je suis sûre qu’elle sera très heureuse de faire la paix avec toi !
- Je vais même faire mieux que ça, s’exclama le chaneton soudain excité.
Se précipitant, il préleva un des deux derniers cookies sous la coupole de verre et sortit en coup de vent en direction de la maison de son amie l’armure. Celle-ci sortait justement de chez elle.
- Mon amie, j’ai quelque chose d’important à te dire, veux-tu bien m’écouter ?
- Non, non, je ne me laisserais plus insulter. Tu devrais partir !
- Non, s’il te plait ! Je suis désolé de la façon dont le bonnet t’as parlé. Tu es une armure formidable, et je regrette de t’avoir blesser.
- Ah oui ? répondit l’armure, adoucie.
- Oui ! Et si tu veux, voici un cookie pour rafistoler ton armure !
L’armure prit le cookie et le mangea, puis formula son vœu. Aussitôt, l’armure rutila de mille feux, comme si elle sortait tout juste de chez le forgeron. Elle s’admira sous toutes les coutures et se confondit en remerciements pour le chaneton, qui souriait en grand. Il était si soulagé d’avoir retrouvé ses amis !
- Et ce bonnet, où est-il donc maintenant ? demanda finalement l’armure.
- Je l’ai renvoyé. Il était méchant et cupide !
- Eh bien, je ne peux pas dire le contraire. Mais il était ton ami lui aussi, non ?
- C’est vrai, répondit le caneton en songeant avec tristesse à sa dernière conversation avec le bonnet rouge. Et je ne lui ai pas vraiment donné de chance de s’expliquer.
- Peut-être… commença l’armure avec hésitation, peut-être pourrais-tu le ramener, avec ton dernier vœu ? Je suis sûr qu’il est désolé de son mauvais comportement. Et si ce n’est pas le cas, nous n’aurons qu’à l’enfermer dans l’armoire !
Le chaneton trouvait cette punition bien sévère mais il se dit que pouvoir discuter à nouveau avec le bavard bonnet rouge serait agréable. Et il voulait rafistoler les choses. Alors sitôt rentré chez lui, il mangea le dernier cookie et demanda le retour du bonnet rouge. Aussitôt apparu, celui-ci se répandit en excuses auprès du chaneton, de la chouette et de l’armure, avouant que son ami le chaneton lui avait beaucoup manqué.
- Moi aussi, répondit le chaneton. Et je suis désolé de t’avoir renvoyé aussi brutalement.
- Tu es vraiment un chic type, chaneton. Si ça ne te dérange pas, j’aimerais rester quelques temps avec toi.
Le chaneton accepta et tous les quatre organisèrent une grande fête pour fêter la nouvelle magnificence de l’armure et leur amitié renouvellée, où ils mangèrent des cookies jusqu’à avoir le ventre plein et burent des litres de chocolat chaud. Ils rirent et s’amusèrent dans la neige et vraiment, tout était redevenu comme avant. Et cela suffisait au caneton, être entouré de ses amis, dans sa maisonnette au toit rose, à côté de son étang. Nul besoin de ville de glace, d’orchestre ni de cadeau perfectionné, songeait-il. Ce sont les choses les plus simples qui nous rendent le plus heureux.