Nano. RolePlay

Rappel du premier message :



Cohbar avait vraiment besoin de cette nuit à l’auberge. Le combat qu’il avait mené récemment contre un dragon l’avait épuisé. Enfin, surtout la crise qui avait suivi. Il n’avait pu que se trainer sous le couvert des arbres, tremblant, et serrer les dents en attendant que la douleur passe. Depuis, entre ses devoirs auprès des responsables de la ville en partie détruite par le dragon et les longs jours de route en solitaire qu’il s’était imposé ensuite, il n’avait pas pris le temps de se reposer.

Mais il approchait de sa destination, et l’auberge qui longeait la route lui avait paru bien trop accueillante pour l’ignorer. Il était donc désormais attablé dans la salle commune, dans un coin que le crépuscule tombant rendait encore plus sombre que d’ordinaire. Au centre de la pièce, un espace vide avait été ménagé et Cohbar était curieux. Un spectacle ?

Oui. Un homme pénétra soudain le cercle et son apparence retint l’attention de Cohbar. Il était vêtu d’étoffes légères aux nuances changeantes, qui laissaient à nu de larges pans de sa peau diaphane. Dans la semi-pénombre, l’homme paraissait presque lumineux. Cohbar remonta vers son visage, en partie caché par de long cheveux qui paraissaient blancs, eux aussi, mais avant qu’il n’ait pu détailler ses traits, l’homme se mit à bouger. Et Cohbar retint son souffle.

Le cœur de Cohbar tambourinait dans sa poitrine alors que les doigts du danseur descendaient le long de ses bras. Le sentait-il, lui qui était si proche ? Sentait-il ses frissons ? Sentait-il sa tension grandissante ? Sans doute, car ses mains s'immobilisèrent et le temps sembla se suspendre.

Ne vas pas plus loin.

Ses mots sonnèrent comme une excuse. Pourtant Cohbar ne bougea pas, laissant le poids léger du danseur contre son dos apaiser progressivement sa tension. Il voulait lui donner cela, danser avec lui. Un moment passa.

Maintenant, chuchota-t-il enfin.

Le silence fut brisé une première fois. Ses mains raffermirent leur prise sur le cuir. Lèvres closes, il respecta la distance ainsi établie, fut-elle illusoire. Le temps passa, il ne bougea pas. Sa respiration dans le dos de l'elfe, paisible, pouvait le faire passer pour endormi.
Le silence fut brisé une seconde fois. Il y eut un léger flottement. Puis les doigts fins glissèrent sur ses paumes, et l'elfe put sentir... du métal, pas aussi froid qu'il aurait dû l'être. En douceur, il referma les doigts de son compagnon sur les lames singulières. La caresse de ses paumes effleurait à peine le dos de ses mains.

Les lames :

Il trembla au contact du danseur, peau contre peau. Mais il aurait été incapable de décrire ce qu'il ressentait à cet instant. Ses doigts se refermèrent sur les manches anguleux des armes, et il puisa un peu de sérénité dans la familiarité du contact. Il ignora l'écho dans sa tête qui lui hurlait de reculer, s'imprégna plutôt de ses sensations et du calme qui émanait du danseur. C'était si étrange, si déstabilisant. Son instinct lui soufflait de fuir, son instinct lui soufflait de rester. Timidement, il esquissa un geste.

L'elfe avait les réflexes d'un guerrier, pas d'un danseur. Pourtant l'amorce de sa gestuelle était douce, et fut aisément suivie par la main de son guide. Ses doigts repliés très légèrement sur les siens suffisaient à lui indiquer la suite du mouvement. Une légère pression desserra une prise trop ferme sur l'arme, et la lame pivota légèrement, suivant l'orientation de son poignet. Un effet déroutant, qui pourtant ne perturbait en rien son maniement. Il devinait dans son dos le sourire du danseur, son souffle contre sa nuque. La leçon commençait à peine.

Une pointe de soulagement perça le trouble de Cohbar quand le danseur reprit l'initiative, guidant son poignet puis le reste de son corps dans un mouvement ample et lent. Il se força à respirer à nouveau, expirant doucement. Il devait se détendre. Il voulait se détendre. Le voulait-il ? Ciel, qu'il était difficile d'arrêter de penser ! De simplement s'abandonner, ne faire que ressentir. La chaleur de la peau contre la peau, du souffle sur sa nuque. La précision des mouvements qui s'imprimaient dans son esprit autant que dans son corps.

L'arc amorcé par son bras entraînait l'inflexion du corps. Une ondulation asymétrique, avec les lames pour seul repère, une impression de chute. Les paumes du danseur restaient, joug léger sur les mains enlacées. Le déséquilibre était minime, parfaitement maîtrisé. Sans un mot, il communiquait calme et confiance. Son corps ployait avec celui de l'elfe, l'accompagnant naturellement vers le mouvement suivant. Libre et captif, il pouvait s'envoler à tout instant.

Son corps était léger, son souffle apaisée. Après les premiers mouvements son esprit était enfin tombé au repos, cédant devant l'absurde perfection du moment. La danse lui semblait naturelle, comme la présence invisible de son partenaire dans son dos. D'où qu'il se souvienne, il n'avait jamais vécu cela, cette chaleur. Sur une impulsion, il ferma les yeux.

La gestuelle était lente, jusqu'ici délicate et avisée. Le danseur attentif respectait la réserve de l'elfe. Son abandon fut comme une libération, et un sourire s'épanouit dans son dos. Les mouvements se succédèrent de manière plus fluide, gagnant en douceur, en intensité. Leur corps suivirent cette impulsion qui, toujours mesurée, se chargeait d'émotion. L'heure de l'hésitation était passée, venait celle de la découverte. Ils dansaient enfin.

Son cœur martelait sa poitrine à grands coups puissants, une pulsation sourde qui s'accordait au rythme de leurs pas. Un coin de l'esprit de Cohbar s'émerveillait de la maîtrise de son guide sur leurs mouvements entrelacés, qui s’enchaînaient sans fausse note ni temps mort. Le reste de son être ressentait. Une émotion brute et étrangère qui agissait comme un baume sur la masse figée et froide de ses sentiments et de ses impossibilités. Finalement, il suffisait de ressentir.

Une nouvelle courbe, une nouvelle harmonie. L'air était la toile sur laquelle ils peignaient, aquarelle éphémère dans le vent nocturne. Ils étaient deux. Ils étaient deux et s'oubliaient l'un dans l'autre. Chacun de leur pas formait une vision volage, fusionnelle, dessinait un voyage intime, superficiel, créait une relation profonde, intemporelle. Ils étaient seuls. Dans l'écrin de leurs émotions préservées, les lames dansaient, et de leur élan naissait la sensualité.

Ressentir. C'était si facile soudain, si naturel. Aussi facile, aussi naturel que respirer. Ressentir, sans penser. Il vivait les frôlements, anticipait les frissons. Inconsciemment, il se tendait vers son partenaire. Inconsciemment, son corps réagissait.

Une onde... La paume du danseur frôla une dernière fois la main de l'elfe avant de s'échapper. De son dos il revint capturer son regard, sans jamais rompre le contact, sans jamais cesser la danse. Sa voix était un murmure aussi vaporeux que les voiles sur son corps.

Je veux vous voir. Un bref silence, faisant écho aux derniers mots prononcés. ... vous voir...

Son sourire fut happé par un rayon de lune.

Un infime instant de surprise et la panique enfla dans son ventre, submergeant ses pensées. Non ! Son sang fut soudain de glace, sa tête de pierre. Il fit un pas en arrière, mécanique. Ses bras désormais froids vinrent agripper aux manches de sa chemise en quête de stabilité. Fuyant le regard du danseur, il déglutit difficilement. Il l'avait rejeté. Que pouvait-il dire ? Lui-même ne se comprenait pas. Le regard ? Les mots ? Le sourire ? Ils n'avaient transmis que de la douceur.

Le contact fut rompu, le mouvement trop brusque, imprévisible. Les lames soudain abandonnées tintèrent sur le sol et la main restée tendue trembla un instant, avant de s'abaisser. Le regard de l'elfe avait fui, celui du danseur s'affaissa. Il s'agenouilla, et ramassa délicatement les danseuses délaissées. Il les retourna entre ses mains, attentif, avant de passer le doigt sur le fil. Le regard toujours posé sur les armes, ses lèvres dissimulèrent l'écarlate qui perlait.

Incertain, désemparé, Cohbar luttait pour récupérer le contrôle de ses émotions.

Je...

Un coup d’œil, qui tomba sur la blancheur d'une chevelure. Sur un dos courbé. Cela semblait presque indécent, que lui soit debout et le danseur à terre. Impulsivement, il se laissa tomber devant lui.

Je suis désolé, souffla-t-il. Je ne voulais pas vous blesser.

Ses mains se crispèrent sur ses genoux. Il était trop tard pour cela, mais Cohbar refusait de faire le deuil du moment magnifique qu'ils venaient de passer.

Le danseur releva les yeux et le sourire y revint quand il croisa ceux de son compagnon. La douceur de l'obsidienne laissait entrevoir une légère surprise.

Ce n'est pas...

Ses paupières sombres fermèrent cette fenêtre sur son âme, transmettant son sourire à ses lèvres.

Ne vous excusez de rien.

L'écarlate n'était plus qu'un fil à l'extrémité des doigts agiles. Quand les perles noires plongèrent à nouveau dans les profondeurs marines, ses mains étaient tendues vers l'elfe, ouvertes, les lames à peine tenues, pommeaux en avant. Son sourire s'affirmait, doux et franc.

Je veux vous voir danser.

Le sourire le rassura, un peu. Pourtant ses yeux inquisiteurs ne quittèrent pas le danseur du regard, en quête de ce que, par gentillesse ou pudeur, il ne disait pas.

La demande le détourna de sa culpabilité, ravivant à la place son plaisir et sa peur. Il était tellement à vif que c'en était douloureux, piégé entre son attirance évidente pour le danseur et cette terreur sourde tapie dans son cœur, incompréhensible.

Pire, les mots le fuyaient, le laissant démuni face à la sincérité du danseur, incapable de dire oui, incapable d'expliquer le non. Ne restaient que ses yeux.

Le silence.

A nouveau, le danseur faisait face au silence. Les lames rejoignirent lentement sa paume, mais son sourire ne vacilla pas.

Je vous l'ai dit...

Ses yeux ne quittaient plus les précieux saphirs, et manifestaient une douceur, une compréhension et une patience infinies.

Ne vous excusez pas.

Sa main s'avança, mais interrompit son geste. Suspendue un instant dans le vide, elle trouva finalement celle de l'elfe. Il y déposa la poignée de son arme et referma les doigts passifs sur elle. Puis il guida la main de son compagnon jusqu'à ce que la lame touche son cou, entaille l'opale de sa peau.

Vous n'avez rien à craindre de moi.

Le mouvement du danseur l'avait figé dans une attente fébrile. Le tiraillement de son esprit n'avait pas cessé, mais il était assourdi, éclipsé par la présence et la chaleur d'un regard.

La main du danseur aussi était chaude contre la sienne. Tel une statue de chair, il se laissa conduire sans comprendre, jusqu'à ce que le sang perle. Une protestation inarticulée lui échappa, et ses yeux plongèrent à nouveaux dans ceux du danseur, en quête d'une explication.

Vous n'avez rien à craindre de moi.

Il secoua la tête, fébrile.

Je ne vous... Une inspiration, suivie d'un silence tendu. Je le veux aussi, mais... j'ai besoin... d'un guide.

Laissant son sourire rayonner sur son visage, il ferma les yeux. Il laissa s'écouler le temps et le silence, le vent jouer avec ses cheveux. De brume et de pastel sous la lune, se mouvant uniquement aux caprices des éléments, il en paraissait presque transparent. Seuls le carmin et le toucher de sa main le rappelaient au réel. Ses doigts ne tenaient plus qu'à peine la main de l'elfe, effleurant sa peau comme une caresse. Sans briser le songe sa voix s'éleva dans la nuit, aussi diaphane et immuable que lui.

Êtes-vous prêt à me suivre... ?

Dans le silence qui était descendu sur eux, Cohbar se satisfaisait d'observer le danseur, rendu audacieux par son abandon. Simplement le voir sourire était fascinant. Ou la manière dont les mèches de ses cheveux s'animaient comme d'une volonté propre sous le vent.

Sans qu'il l'ait prévu, ces instants volés apaisèrent aussi sa tension, lui rendant un peu du contrôle qu'il avait tant de mal à maintenir sur ses émotions. Quand le danseur parla, il était prêt. Il lui offrit la rareté d'un sourire, une pression douce sur leurs mains entrelacées et raffermit sa voix.

Oui.

Les obsidiennes étaient réapparues pour se voir offrir la beauté d'un sourire spontané et profond, la simplicité d'une réponse sincère et assurée. Le danseur pencha légèrement la tête, faisant basculer voiles et cheveux. Ses lèvres ornées d'obscurité se refermèrent, et ses yeux se fendirent d'un sourire que son visage était incapable d'exprimer. Oblitérant les lames, ses mains répondirent au contact, venant bientôt enlacer le cuir avec plus de force.

Accompagnez-moi.

Ils se relevèrent d'un même mouvement fluide, s'équilibrant mutuellement, toujours ancrés dans le regard de l'autre. Puis le temps d'un souffle le danseur disparut à la vue de Cohbar, masqué par les mèches blondes qui voilaient par intermittence son regard. Impatiemment, les doigts agiles du guerrier s'échappèrent de la prise du danseur pour renouer la tresse qui retenait ses cheveux. N'était-ce pas une folie d'en vouloir au vent de le priver d'un contact qui pourtant l'angoissait ?

Le geste impatient créa une nouvelle fois un vide entre les mains du danseur. Ses yeux suivirent patiemment cette nouvelle échappée, mais l'elfe ne s'enfuit pas longtemps. Les doigts d'albâtre frôlèrent ses mains, interrompant en douceur l'impulsion fébrile de son compagnon.
Léger, subtil, toujours en mouvement, le danseur laissa les fils dorés flotter sur ses doigts alors qu'il tournait autour de lui. L'elfe le perdit de vue mais pouvait toujours deviner sa langueur et son sourire. Lentement, il dénoua la tresse défaite. Lentement, il fit couler la chevelure dans son dos. Ses doigts frôlèrent sa nuque.

Le cœur de Cohbar rata un battement avant de repartir de plus belle, mais il resta immobile sous les doigts du danseur, s'efforçant de cacher son trouble. La masse de ses cheveux dénoués chatouillait son dos, sensation étrange, mais moins déstabilisante que les frissons qu'envoyait le long de sa colonne vertébrale le toucher délicat d'un autre homme. De cet homme. Il noua devant lui ses mains désormais inutiles et s'abandonna à la caresse.