Banc de la rencontre fatidique avec l'être aimé, banc  du coup de foudre au premier regard, banc de la mémoire,  banc des regrets des jours jamais vécus à ses côtés, banc de méditation silencieuse en contemplant le parc et les immeubles environnants, banc du tête à tête avec soi, banc où s'écrit sous les dernières heures du jour la journée de Stanislav.

Banc verts foncé, Banc standardisé qui ressemble aux autres bancs du parc, Banc accueillant les fessiers volontaires, Banc aux quatre pieds en fer finement sculpté,  banc gelé aux heures d'hiver, Banc privilégié pour assister au printemps fleurissant dans les arbres.

 Il y a des bancs, une infinité de bancs d'après Stanislav dans cet unique banc isolé de tous les autres.

Il n'existe aucun qui soit pareil à celui-là dans ses yeux.

C'est SON banc. Une extension de lui-même et sa propre histoire.  C'est là où il ouvre son carnet pour écrire et dessiner ce qu'il a pensé de sa journée. Et, parfois,  des gens viennent s'asseoir et le marquer d'une tranche de leur vie. Du vieil homme  qui s'assoit pour jeter du pain aux oiseaux au jeune homme fort désagréable. Il y avait une infinité de gens qui venaient s'asseoir. Qui ce sera aujourd'hui ?

La mirgue est fatiguée. Ses souliers, sont usés. Il faut dire qu'elle a pas mal marché pour arriver à la capitale. Personne n'a voulu la prendre sur sa charrette, ou alors c'était contre des services qu'elle n'était pas prête à rendre. Elle est claquée. Et une fois dans la ville, c'est pire ! Elle est perdue, aucune idée de la direction à prendre. Elle finit dans un parc, le ventre vide et les pieds las.

Un banc. Un homme. Un banc surtout.

"Je peux m'asseoir ?"

Stanislav, crayon à la maison et carnet ouvert face à lui, jeta un oeil à la personne qui vient de lui demander la permission. Oui ? Elle n'avait pas l'air de passer une bonne journée. Vous passez une bonne journée ?

Il a pas la tête du gentil qu'il semblait caché derrière son carnet à dessin, trop tard pour faire demi-tour. Elle lâche un soupir de soulagement en se laissant tomber sur l'assise, le dossier venant reposer ses épaules. Dommage qu'il n'y ait pas de quoi poser sa tête. Elle s'étonne presque que la voix de l'homme s'élève à nouveau.

"Maintenant que j'ai un banc pour m'asseoir elle le devient. Vous dessinez quoi ?"

Délit de faciès ! (protesta le narrateur derrière son écran) S'il suffisait d'un banc pour refaire une journée... Je dessine le bâtiment d'en face avec la perspective qu'on a depuis le parc. Vous voulez y jeter un oeil ?

Bien sûr qu'elle veut y jeter un coup d'oeil, c'est un dessin, et peut-être qu'il est bon. Elle essaie de rester impassible et cool. Elle regarde le carnet de l'homme. Waouh ! C'est précis ! C'est détaillé ! Faut qu'elle trouve quelque chose à critiquer vite !

"C'est pas mal, mais vous dessinez uniquement ce que vous voyez ?"

Il ne faisait pas que ça bien sûr. Il faisait des plans de construction et les ingénieurs les appliquer. Je dessine aussi de mémoire et je dessine des concepts d'architectures. Je suis architecte et j'aime à penser que mes projets me survivront.

"Vous ne dessinez jamais autre chose que des bâtiments ?"

Ca doit être méga ennuyeux. Surtout les bâtiments de la ville. Ils se ressemblent tous. Trop haut. Trop poussiéreux. Trop.

La nature ? , répondit  le vieux barbon à la question  de sa voisine. Le visage de ma femme ?  Des statues ? Il aurait pu dessiner les femmes du  bordel  dont il est propriétaire mais il n'était guère intéressé. Il était tous à la mélancolie lancinante d'avoir perdu son épouse. La pratique régulière est importante si on ne veut pas perdre la main. C'est vrai pour beaucoup de choses.  

"Ah donc il y a des choses vivantes quand même ! Les bâtiments c'est sympa, mais pas très dynamique quand même ..."

Un paysage non plus cela étant !

Sa femme, une chosevivante ? Stanislav n'est pas sûr d'apprécier le terme pour son épouse décédée et enterrée, il y a quelques années. C'était vrai que les arbres étaient vivants puisqu'ils poussaient, se reproduisaient, se nourrissaient d'eau et de soleil. Ma femme est morte. Je dessine pour ne pas oublier son visage. Il dessinait son visage à partir de la vision très romantique qu'il en gardait. Stanislav tourna les pages pour ramener à un croquis du visage de sa Tatiana adorée.

"Hm." elle est perplexe. Elle a mis les pieds dans le plat elle devrait sans doute s'excuser. Ce serait mieux. "Désolée, je ne voulais pas vous peiner... Elle était très belle."

La femme romancée de ce carnet devait surpasser en tout point le souvenir dont elle était issue.

C'était la plus belle femme au monde. , se rengorgea Stanislav, il n'y avait pas pire qu'un homme amoureux pour les compliments. A part le fayot (peut-être ?). Ma fille est aussi belle que sa mère. Là, Lyra avait droits aux désirs de Anastasia bébé, enfant et adolescente. Elle devait avoir dans les 17 ans à tous casser à en juger par les jeunes traits.

"Hm. Elle tient un peu de vous quand même."

C'était sorti tout seul. Comment on rattrapait ça ? Heu. Heu. On se taisait et on le laissait comprendre ce qu'il voulait comprendre.

Bien sûr que oui, on l'a faite à deux !, répliqua Stanislav comme si c'était évident.

Ouf ! c'était passé en douceur ! Il ne s'était rendu compte de r... Qu'est-ce qu'il venait de dire ? Que devait-elle comprendre ? Il parlait de... Oh ! Les joues pâles de la jeune femme s'empourprèrent.

"Ah. Euh. D'accord." c'était le mieux qu'elle puisse faire.

Pour ajouter à sa gène c'est à ce moment que son estomac décida de lui rappeler qu'elle n'avait rien mangé depuis la veille en grognant de manière féroce.

Eh oui ! Il parlait de la CHOSE sans fard ! Entendre gronder férocement l'estomac rappela à Stanislav que sa voisine passait une mauvaise journée. Je vous paie un petit café et des pâtisseries au café du coin, qu'est ce que vous en dites ?

"Sans contrepartie ?"

Il fallait qu'elle soit certaine de ne pas se mettre dans une situation où elle serait trop redevable. Il lui restait quelques pièces en poche, elle espérait prendre une douche et dormir dans une chambre d'hotel avant d'aller d'embaucher dans la milice, elle voulait faire bonne impression dès le début.

Tu m'as mis de bonnes humeur, je ne fais que te rendre la pareille !, déclara le bonhomme enchanté par les remarques sur la beauté de sa femme et sa ressemblance avec sa fille qui ont rattrapés la maladresse du début.

Un sourire qu'elle aurait jugé bien trop enfantin se dessina sur ses lèvres. Elevée loin du monde sa mère n'avait pas jugé bon de lui apprendre de ne pas suivre les inconnus qui lui proposaient des bonbons, elle n'était pas censé être seule avec des inconnus. Jamais.

"Dans ce cas, je vous remercie de votre bienveillance !"

De rien., fit le bonhomme en quittant sa place sur le banc. Ce n'est pas très loin, juste au bout de la rue après la sortie du parc. Vous me suivez ?

Est-ce que c'est un piège ? Si la question traverse rapidement l'esprit de la jeune fille, elle ne franchit pas ses lèvres. Elle a faim. C'est tout ce qui compte !

"Bien sûr !"

Il n'y a pas de piège dans toute cette histoire. Comme si un patron de bordel allait faire quoi que ce soit à une jeune fille de l'âge de sa propre fille. Le café dont avait parlé Stanislav était effectivement là où il le disait. Voilà le café Bel-Ami, c'est un français qui le tient. Ses pâtisseries sont excellentes.

"Ca veut dire quelque chose de particulier Biel amy ?" demande la Russe peut habituée aux sonorités françaises tout en se tirant une chaise.

En français, Bel signifie beau sous sa forme féminisée et Ami veut dire ami tout simplement. , expliqua le bonhomme en tirant également une chaise, à l'opposé de la petite table ronde face à son interlocutrice.