Il ne devait pas encore être minuit, les douze coups de cloche n'avaient pas raisonné dans la nuit somme toute calme. Klyde avait fini sa ronde mais n'avait pas du tout sommeil ; le repas prit avec Viktor était délicieux et assez nourrissant pour lui permettre de veiller tard et moins dormir (même si Sveta gardait un avis mitigé sur ce dernier point). Qu'elle se rassure, il se reposait beaucoup mieux ces derniers temps, même dans le lit de Pavel qui portait plus son odeur que celle du roux.

Pensant à son ancien mentor et actuel ami, le Guide prenait non pas le chemin habituel mais celui de son propre logement. Il avait une surprise pour Pavel et espérait que ce dernier soit encore éveillé. Un petit sac en main, il escaladait sans peine son immeuble pour rejoindre la fenêtre. Alors, dormait-il ou non ?

Evidemment qu'il ne dormait pas. A cette heure-ci Pasha serait normalement sur les toits en train de surveiller son territoire. Peut-être même en poursuite. La nuit tombé était parfaite pour ce genre d'initiatives. Plus discret qu'en pleine journée, surtout avec sa chevelure flamboyante. Il était assit à table, malgré le manque visible de nourriture, son menton appuyé sur le poing de son "bon" bras alors qu'il entreprenait pour la énième fois la lecture de la Parole du Seigneur.

La faible lumière derrière son rideau lui arracha un sourire. Tapotant du bout des doigts le carreau avant d'ouvrir -manquerait plus de se faire attaquer- Klyde se posa sans bruit dans l'appartement, toujours souriant. Et il avait de quoi ! "Merci Pasha" lui dit-il a la volée en usant de son surnom sans se tromper. "Tout s'est très bien passé au Vatican, tu avais eu raison d'insister. Comment vas-tu ? Tu as mangé ?" Enchaînement d'idées sans rapport dans une même phrase, rien de nouveau, le caneton tout craché.

Comme d'habitude oui. Pasha commencerait par l'étape un. L'ordre chronologique. Le premier souci. "Tout s'est très bien passé au Vatican". Ce n'était pas assez d'informations. Le souci avec lequel il était parti en début de soirée n'était pas quelque chose de petit et léger. Ça l'étonnait qu'il passe au prochain sujet si rapidement. Qu'est-ce qu'ils t'ont dit ?

Sa diversion de sujet n'avait pas du tout fonctionné mais il s'y attendait. Souvent avec Pavel, il parlait trop vite et le roux devait le reprendre. "Que c'était presque un bon signe. Pas que les morts viennent me voir mais que le Malin essayait souvent de détourner du droit chemin les plus fervents de Dieu." {Ce n'est pas vraiment comme ça que les choses t'ont été présenté Trésor ; reprend depuis le début.} "Ah... heu..." L'intervention de la Sainte l'avait coupé dans son élan. "Le prêtre a dit que ça ne l'étonnait pas, qu'il s'attendait à une attaque de ce genre. Plus pour piéger Sveta que moi, mais que tant que j'avais la foi, rien ne pouvait réellement me mettre en danger." Mieux ? {Légèrement.}

Il était soulagé, sans vraiment comprendre pourquoi. Il s'attendait peut-être pas à un retour sur une note si... positive. Les prêtres pouvaient être très catégoriques et Klyde était... spécial. Complexe. Pas... facile. Voilà.

Tu leur as également avoué ta réticence d'aller au Vatican ?

Ah, cette fois c'était le retour du petit garçon penaud avec un énième "ma faute pardon" du bout des lèvres qui ne manquerait pas de venir. "Oui... que je craignais qu'on me juge inapte pour ma mission. J'ai vraiment eu peur de ça." Klyde gardait un regard fuyant, la tête basse, et ne semblait pas décidé à poser son manteau ou s'installer. "Ils ont dit que tu as très bien agi, en me rappelant le droit chemin mais qu'à l'avenir, je devrai y penser par moi-même."

Pas la peine de dire "ils ont raison". Evidemment qu'ils ont raison. On parle du Vatican. Ils ont toujours raison. Pasha hocha la tête pour affirmer encore une fois qu'il était d'accord. C'est bien ce qu'il lui avait dit. Je t'avais dit que tu n'avais rien à craindre.

"Oui..." Pas la peine non plus d'en rajouter de son côté, la messe était dite. "Tu devrais mettre ton manteau, la température est tombée dans la nuit" enchaîna Klyde, désireux de mettre à bien son idée. "On ressort" précisa-t-il pour éviter un haussement de sourcil inutile au rouquin.

Il n'avait pas évité l'haussement de sourcil. Pasha était trop étonné d'apprendre qu'ils allaient ressortir. C'était pas dans les habitudes de Klyde. Il avait été sévère durant son rétablissement. (Trop à son goût...) On ressort ? Il était peut-être tombé sur une piste à suivre sur le chemin de retour du Vatican.

C'est quoi encore l'expression ? Ah oui : l'espoir fait vivre.

Le brun fut pris de court. Il y a quelques semaines de cela, Pavel l'aurait juste regardé un peu sévèrement en attendant qu'il s'explique ; là, il posait carrément la question. "Oui, on ressort. Prend tout de même ton pistolet et un couteau, au cas où." Toujours. "Tu ne m'as pas dit si tu avais mangé" insista le caneton.

Voilà ce qu'il entendait par sévère. Si Pasha avait un jour connu l'inquiétude d'une mère, il aurait peut-être tiré la parallèle. Le souci la question est qu'il ne se rappelait pas immédiatement la réponse. Avait-il pris quelque chose à manger en cours de route ? Il se rappelait surtout de sa rencontre rapide avec Sasha, pas spécialement d'avoir mangé. Pas depuis qu'il était rentré en tous cas. Je n'ai pas faim, se contenta-t-il de dire alors. Pas besoin de manger si l'estomac en réclame pas.

{C'est donc un non} lui confirma Sveta. Il eut un soupir, puis une moue dépitée et haussa les épaules en retournant à la fenêtre. Le débat du "tu dois manger pour guérir correctement" revenait trop sur le tapis pour qu'il ait envie de le relancer une fois de plus. {Où vas-tu Trésor ?} Ah oui. Pavel ne pouvait pas encore escalader les murs. Demi-tour et direction la porte d'entrée.

On va où ? Deuxième question. Il avait déjà attaché son étui à fusil sous sa veste, et son couteau était déjà placé contre sa cuisse, mais rien ne valait l'information dans leur métier. Surtout pour quelqu'un qui passe ses journées enfermé à l'intérieur.

Klyde lui répondit uniquement avec un beau sourire et un "tu verras" beaucoup trop joyeux. Une fois en bas de l'immeuble, alors la musique battait son plein dans le cabaret en face, le Guide contourna le bâtiment dans une rue qu'ils n'avaient pas encore prise ensemble et reprenait le chemin du quartier de Saint-Pétersbourg. "Et ta journée ?" ne put-il s'empêcher de rajouter, comme si rester silencieux lui coûtait trop (ce qui n'était pas totalement faux).

Il plissa des yeux. Juste assez pour montrer qu'il trouvait cette histoire un peu suspecte. Pasha n'aimait pas les surprises (surprise !). Alors qu'il se heurtait la cervelle à essayer de deviner ce que Klyde avait en tête, le garçon lui posa une question en retour. Une classique. Comme d'habitude, Pasha haussa les épaules. Il avait presque ajouté son "Pas animé" habituel quand il se rappela la rencontre avec Sasha. La pensée ne marqua qu'une petite pause avant sa réponse. Trop calme.

"Aucune piste à remonter plus tard ?" Dans un sens, l'absence de démons était plus inquiétante que dans voir. Car ils étaient forcément quelque part à manigancer, juste parfois plus difficiles à dénicher.

Mhh.. non. Mais il partageait certainement les pensées que Klyde et visiblement ils n'étaient pas seuls. C'est... amusant. Sasha est venu voir le quartier aujourd'hui car elle s'est fait la réflexion qu'il y avait moins de démons qu'avant. C'est aussi suspect que beaucoup d'activité. C'était un compliment en quelques sortes, mais peut-être pas assez explicite pour Klyde.

Pavel aurait très bien pu lui dire clairement qu'il avait fait du bon travail, il n'aurait rien entendu. "Qui est Sasha ??" s'alarma-t-il en se retournant brusquement pour lui faire face, les yeux ronds. Et avait-il dit "elle" ?

Une G— Il se rattrapa. Parfois c'était trop facile d'oublier de faire attention à ce qu'il disait avec Klyde. Vieilles habitudes. Mauvaises habitudes. Une collègue. Il devrait comprendre.

"Et tu la connaissais déjà d'avant" comprit surtout Klyde. Au moins Pavel lui avait dit qu'il avait déjà travaillé avec d'autres Guides, cette Sasha devait faire partie du lot. Mais il n'avait jamais entendu parler d'une femme faisant partie du Saint Ordre, même s'il savait ça techniquement possible. Le garçon resta un moment le regard dans le vague, voyant le plus grand sans le voir, puis revint à lui et reprit sa route.

En voilà une réaction étrange de la part du caneton. En général c'était lui qui gardait ses pensées pour lui-même. Klyde avait la manie de tout partager. Le roux décida sagement de ne pas ouvrir cette boîte de Pandore et évita un questionnement supplémentaire.

Le brun marchait le nez au vent, à moitié distrait, et sans parler jusqu'à s'arrêter quelques minutes plus tard devant un pilier de bronze qui maintenait les rails du métro haut-dessus du sol. Celui-ci avait la particularité d'être équipé d'un étroit escalier en colimaçon qui demandait l'ajout d'attaches pour monter en toute sécurité ; ce que deux Guides entraînés pouvaient aisément se passer. La porte grillagée qui condamnait l'accès fut simplement poussée, étrangement sans résistance, et Klyde entama l’ascension dans faire résonner ses bottes sur les marches de métal. Être un poids plume avait ses avantages.

Et voilà quelque chose d'encore plus étrange. Un Klyde tout à fait silencieux. Il n'avait quand même pas re-déclenché son mode automate, si ? C'était la deuxième fois que ce genre de silence inconfortable se posait entre eux et comme la première, Pasha n'avait aucune idée ce qu'il avait fait de mal. Heureusement ses bottes étaient assez lourdes pour combler le vide de la conversation.

Klyde n'avait pas du tout conscience des nœuds qu'il provoquait dans le cerveau de son ancien mentor. A vrai dire, dans sa propre tête -outre la présence de Sveta- il chantonnait les airs de musiques qu'il avait entendues au "Tonneau Brûlant". L'escalier menait à des rails de métro, logique, mais sur une partie fermée plus loin pour des travaux ; aucun transport ne passerait donc et les surprendrait. L'air était frais et vivifiant mais surtout, ils avaient une vue dégagée et imprenable sur le Vatican éclairé au loin. "J'ai cru comprendre que tu aimais être en hauteur" lui sourit Klyde avec un regard doux.