Nano. RolePlay

Le combiné claqua sur son trône en formica.

"Elle dit qu'elle est pas loin."

Israël, ou plutôt Force rouge, opina aux propos de Kennedy et prit une nouvelle bouffée de sa cigarette. Il avait essayé d'arrêter mais, ce soir, il avait le trac. Et puis, dans l'ensemble, il s'était un peu repris, il entrait même de nouveau dans son costume ; la clope était un moindre mal.

Comme les Rangers avaient tous raccroché, Israël devait faire équipe avec des types dépareillés. On avait Barcelone en combi rouge, Ronald en colwn jaune et Kennedy, qui avait été contacté par la journaliste, avec un masque du président éponyme. C'était vraiment pas sérieux, point de vue marketing, mais c'était les actes qui comptaient, non ? Et ce soir, ils allaient faire un truc qui compte.

Si seulement la journaliste se pointait au rendez-vous.

« Il y a des mutants, comme les X-Men, qui rendent service à notre société. » Combien de fois Robin avait-elle entendu cette rengaine ? Bien trop. Pire : New York voyait pulluler les mutants justiciers voulant prouver qu’ils faisaient partie des « bons ». Souvent en créant plus de problèmes qu’ils n’en résolvaient, mais l'idée des mutants héros continuait à se répandre. Comme si c'était une caractéristique du gène X. Elle avait donc été d’autant plus intriguée en entendant parler d’une (énième) équipe de redresseurs de torts ayant pour particularité d’être composée exclusivement d’humains normaux. Voilà qui sortait de l'ordinaire.

Iz' épiait la rue entre les persiennes en buvant du café dans son thermos comme une octogénaire célibataire de brooklin quand il vit une silhouette féminine se glisser sous le porche du vieux bâtiment art deco délabré qui leur servait de squat planque

"Quelqu'un arrive" se contenta-t-il de dire.

La tension montait comme on entendait les escaliers craquer. Le silence pesant permettait d'entendre les inquiétudes : et si c'était une flic ?

On toque, on ouvre.

L’endroit était… peu engageant. Robin se fit la réflexion que si elle continuait à mener ce genre de reportages, elle devrait peut-être envisager d’investir dans une arme, en fin de compte. Enfin, il était un peu tard pour changer d’avis. Rassemblant sa détermination, elle entra donc une fois la porte ouverte. Et se retrouva face à… Eh bien, pas aux X-Men, ça, c’était déjà sûr. « Bonsoir. » En temps normal, elle se serait présentée. Mais ce soir, elle préférait d’abord savoir comment (et si) les trois personnes en face d’elle comptaient se présenter.

Israël n'avait pas encore remis son masque, terminant sa cigarette avant d'en écraser le mégot sur le rebord de la fenêtre. Il s'avança vers l'entrée et tendit la main à la journaliste.

"Bonsoir. Moi c'est I... Force rouge. Voici Barcelone, Ronald et Kennedy. On est les..."

C'est là qu'il se rendit compte qu'ils n'avaient pas de nom de groupe.

"Péteurs de culs, s'empressa de rectifier Ronald, donnant ainsi le nom de leur serveur Telegram.
— Veilleurs de nuit." Conclut Iz'.

Les justiciers masqués acceptaient apparemment de se montrer à visage découvert. À part les costumes, ils ressemblaient à des personnes lambda, confortant les soupçons de Robin que le gêne X n’était pas indispensable pour les actions héroïques (au contraire, à son humble avis). Preuve de sa maîtrise d’elle-même, elle ne tiqua ni à leurs pseudonymes, ni au(x) nom(s) de leur groupe. Elle n’en était pas à sa première bizarrerie, en ayant entendu des gratinées que ce soit dans son métier ou parmi les relations professionnelles de son ex. « Robin Noel, ravie de vous rencontrer. » Elle serra la main de « Force Rouge ».

Israël se dirigea vers une table de camping qui faisait office de bureau stratégique. Il y prit le thermos de café et un gobelet qu'il remplit pour le tendre à la journaliste.

"On est contents de voir que tous les médias sont pas corrompus. La propagande pro-mutants est allée jusqu'à me faire couper la télé, perso'. Maintenant je regarde plus que des documentaires animaliers.
— Oh, t'as vu celui sur les crevettes, dans l'océan indien ? C'est fou, quand même, la nature..."

Robin était en effet déterminée à rester incorruptible et faire scrupuleusement son travail d’investigation. D’où sa présence dans un endroit pas des plus engageant en compagnie d’une équipe de justiciers aux choix vestimentaires particuliers. « Un agacement compréhensible. Pour ma part je préfère continuer à suivre ce qui se dit, ne fut-ce que pour savoir quelles idées débunker et fact checker. » Fournir une information correcte et de qualité était son métier, après tout, et la technique de l’autruche fonctionnait assez mal pour atteindre cet objectif.

Israël hocha la tête.

"J'comprends. Nous d'nôtre côté, on a décidé d'mettre les mains dans l'cambouis. D'ailleurs, vous faites comment, d'habitude, pour... On doit mettre un micro-cravate, ou un truc comme ça ?"

Certains se mobilisaient, tandis que d’autres cherchaient à aller au fond des choses. Peut-être y avait-il de l’espoir après tout. Restait à voir en quoi consistait la mobilisation de ce groupe. « Pas besoin de micro, par contre si vous m’y autorisez, je vous enregistrerai avec mon smartphone. J’ai amené ici la déclaration d’autorisation d’utilisation de votre image et de vos mots. Si vous préférez, je peux aussi vous citer comme source anonyme ou sous un pseudonyme. Mes articles sont écrits, donc votre voix ne sera de toute façon pas diffusée, et d’éventuelles photos ne le seront que si vous en donnez l’autorisation. »

Barcelone semblait enthousiaste à l'idée de faire une photo.

"Oh, ouais, on pourrait faire une photo d'groupe, ça f'rait un pur souv'nir ! Par contre, faudra l'faire avant l'opération, pa'c'que c'est pas sûr qu'on soit tous ensemble à la fin d'la soirée...
— Pas d'soucis, on va signer les documents. Confirma Israël, éteignant sa cigarette."

Il descendit son masque et croisa les bras.
"Et c'est mieux si on utilise nos pseudonymes de justiciers, au cas où."

« Pas sûr qu’on soit tous ensemble à la fin de la soirée ? » Ce reportage s’annonçait donc… mouvementé. Soit, Robin avait mis des chaussures plates au cas où rencontrer une bande de justiciers allant à contre-courant s’avérait délicat. Elle tira donc un exemplaire du fameux document pour chaque justicier et les distribua : « Vous pouvez utiliser votre nom ou votre pseudonyme, comme vous préférez. » Et cette annonce valait également pour la suite de la soirée.

Chacun signa à tour de rôle. Kennedy, fidèle à son personnage ou vraiment investi, monopolisa le document pendant trois bonnes minutes pour le lire dans son moindre détail. Les autres se mettaient déjà en place pour la photo.

"Allez, viens, Kennedy, on n'a pas que ça à faire, faut encore qu'on passe au briefing."

Monsieur le Président les rejoignit.

"Okay, on est prêts !"

Les quatre Justiciers se tenaient dans un angle, bras croisés, l'air sérieux.

Contrairement à ses coéquipiers, Robin ne pressa pas celui qui lisait consciencieusement son document. Le but était de les informer des modalités de l’interview, après tout, et la journaliste elle-même ne signait jamais un document qu’elle n’avait pas lu attentivement de bout en bout. Une fois que tous eurent signé, elle plia les papiers, les rangea dans sa poche, et sortit un appareil photo. Elle aurait aussi pu utiliser son smartphone, dont la caméra était d’excellente qualité, mais il attachait trop de métadonnées aux photos, en plus d’être plus facilement piratable. Quelques flash plus tard, elle avait l'équipe et ses membres individuels.

S'être fait prendre en photo avait galvanisé l'équipe. Tous se regroupèrent autour de la table de camping. Certains se resservirent du café.

"Okay, alors voilà : en face de c'bâtiment s'trouve un bar fréquenté par la racaille mutante. Un des piliers d'comptoir est un certain Houston Hubbard, un p'tit fils à papa qui fréquentait l'école Xavier. Il en a été renvoyé pour avoir pété des rétros mais il a pas été jugé parce que l'chauve a dû s'arranger avec les flic." Fit Israël.