Nano. RolePlay

Seifur était tout juste sorti de Q2 qu'il avait eu droit à un entretien de sept heures avec le commandement. Il avait livré un rapport de situation aussi circonstancié que possible quant à l'état du monde, du moins de la partie qu'il avait pu observer. Il avait fait preuve d'une patience herculéenne, ayant quant à lui des questions qui lui brûlait la langue bien plus vivement qu'à ses supérieurs.

Enfin, on avait décidé qu'il avait parlé pendant suffisamment longtemps et ajourné les détails. Il avait alors demandé des nouvelles de sa famille. Tout ce que le camp put faire pour lui, ce fut de lui apporter le petit registre sur lequel était consigné le nom de tous les survivants présents dans et hors du camp, ainsi que ceux qui avaient été aperçus par telle ou telle personne, avec la date de la dernière fois qu'on les avait vu en vie.

Un seul nom.

Seifur sortit de la salle de réunion, les yeux lourdement cernés et un air d'espoir troublé sur le visage.

Leif est de bonne humeur ce jour-là. Il grimace donc à peine quand il arrive au pied de la terrasse. L'habitude commence à lui rentrer dans la peau, même s'il ne passera jamais plus de quelques heures dans ces maudites grottes.

"Hop, au boulot." souffle-t-il en sautant au sol. Les muscles de Krákagrár  frémissent d'anticipation. Leif lui caresse le chanfrein. "Pas toi, vieux. Tu as fait ta part." Il lui flatte l'encolure, attache les étriers sur la selle et le désangle. Son cheval s'éloigne un peu pour brouter, une oreille attentive.

Les sacs de sanglier sur le dos, Leif observe la nacelle descendre. Il inspire profondément. Paré pour l'épreuve.

HRP:

Seifur passa rapidement à la cantine, mais mangea peu, demandant à la permanence une petite portion seulement. Il prit avec lui une pomme qu'il essuya sur son pull pourtant moins propre que celle-là.

Il sortit en terrasse et alla s'assoir sur un des fauteuils en osier qui avaient été disposés pour la détente. Croquant dans sa pomme, il s'allongea sur le dossier incliné lorsque les rayons du soleil lui firent fermer les yeux.

Un avant-bras sur le visage, il s'assoupit.

Le passage par la Q1 et l'arrivée dans les grottes proprement dit fait nettement faiblir le sourire, d'autant plus quand Leif s'aperçoit qu'on le regarde de travers. Il se retient de rouler les yeux au ciel. Ce n'est pas parce qu'il apprécie la liberté de sa vie nomade - et dangereuse, certes, il ne l'oublie pas - qu'il faut le traiter comme un fou.

Les gamins qui le reconnaissent n'ont pas cette retenue méfiante. Leif est bientôt assailli par des gosses de tout âge, du petit marmot qui bave sur sa jambe, jusqu'à l'adolescent qui ne peut cacher son admiration lorsqu'il marmonne qu'un arc, c'est vraiment dépassé, vieux.

Le chahut des enfants réveilla Seifur en sursaut. Sa pomme roula sur son bras et il se retrouva à jongler avec pour qu'elle ne tombât pas par terre. Il finit par la rattraper et en croqua un morceau en tournant son regard vers la source du bruit.

Sa mastication s'arrêta subitement alors qu'il se levait sans quitter Leif du regard. Il s'avança lentement vers lui, le détaillant.
- Ca alors, c'était pas des conneries... Fit-il, comme à lui-même, une fois arrivé à portée de voix.

Leif n'est vraiment pas fou, pour de vrai, hein ! Il a passé trop de temps sur ses gardes pour ne pas sentir quand on le fixe intensément. A la décharge de sa réaction, il sent peser sur ses os les éclairs de peur provenant des parois qui l'oppressent ; sa voix part dans un reniflement sarcastique. "Ce serait vraiment con d'essayer de me voler sous l'oeil des guguss qui surveillent ce foutoir." Il agite la main vers les gardes qui observent les sorties sur la terrasse, et son geste reste figé en l'air quand sa rétine imprime ce qu'il voit.

"Seifur ?" Ce n'est qu'un souffle prudent, à peine esquissé.

Seifur lâcha un éclat de rire nerveux. Un regard d'incrédulité se peignait toujours sur son visage, mais cédait progressivement place à une joie soulagée.

"Ah ! Ca faisait une éternité que j'avais pas entendu mon nom prononcé correctement..."

Il s'avança vers lui et mit ses mains sur ses épaules, pour mieux le détailler.

"Ce que tu as changé, dis donc !"

Les enfants les regardent avec de grands yeux curieux, et bien fouineurs, dites donc. Leif n'en sourit pas moins à Seifur, large de soulagement. "Par Óðinn, j'ai même du mal à y croire alors que t'es devant moi, vieux, ça fait tellement un bail !" Un petit rire le secoue dans l'émotion et il attrape les épaules de son cousin pour le serrer dans une poigne solide ; une vie de nomadisme à cheval, ça forme les muscles. "Je te supposais mort dans la fournaise de l'Orient, sans oser espérer... Par Óðinn, vraiment ! Quel miracle ! Tu as dû en vivre des périples." Son sourire se tarit soudainement. "Es-tu... es-tu remonté jusqu'à Trondheim ?"

Le sourire de Seifur se figea quelque peu lorsque Leif évoqua l'orient, plus encore lorsqu'il parla de Trondheim.

"Non. Je suis arrivé avant hier, dans la nuit. J'ai passé deux jours en quarantaine et une journée en entretien. Jusqu'ici, ils m'ont seulement laissé consulter le registre des survivants et..."

Il se racla la gorge.

"Je n'y ai vu que ton nom. Ils m'ont dit qu'il n'y avait pas d'autre base, vers le nord. Je suppose donc que... Qu'il ne reste plus personne."

Leif laisse échapper un soupir un peu désespéré. "Je..." Ses yeux se tournent vers la horde de gamins fouineurs et il les chasse avec la menace d'un cours de langue au lieu d'une explication sur la fabrication d'un arc ; ils s'égayent aussitôt dans un concert de jappements indignés.

"Je suis passé par Trondheim." dit-il à Seifur, le dos tendu, la tête perdue dans les souvenirs. Il lui fait signe de le suivre vers un rocher qui surplombe la falaise, loin des grottes aux parois qui l'écrasent. "De mai 2070 à février 2071, plus exactement. Mais aucune trace... ça devenait trop dangereux, alors je suis parti, vers le sud. Pour fuir l'hiver."

Il suivit Leif sans un mot. Arrivé au rocher, il s'engonça quelque peu contre le froid. Les bras croisés, il protégea son cou avec sa barbe un peu hirsute.

Il écouta son cousin attentivement, fermant les yeux et fronçant les sourcils à l'énonciation des dates, des calculs silencieux sur le bout des lèvres.

Il hocha la tête.
"Okay, je comprends."

Puis inspira un grand coup.
"Tout n'est peut-être pas perdu. Ils m'ont dit..."

Seifur se précipita vers le bord pour vomir.

La coupure nette le surprend et il se tourne vers Seifur pour l'interroger quand il le voit pencher dangereusement en avant. "Hey !" Leif se jette sur son cousin pour le retenir, et grimace en comprenant ce qu'il se passe. "Tu m'as fait peur, sérieux." Il n'en frotte pas moins son dos. "Tout n'est pas perdu." répète-t-il. "Ils ont pu aller dans un autre camp. Vannstad n'est sans doute pas le seul. J'ai longé par la côté, ils ont pu aller vers l'ouest ou vers le nord." Il veut rajouter que leur destin est entre les mains d'Óðinn mais il n'est pas sûr que ce soit réconfortant pour Seifur.

Il cracha, et recommença. Puis s'essuya avec la manche de son pull. N'ayant pas eu le temps de se changer au sortir de la quarantaine, il sentait déjà mauvais.

"Je me transportais juste celle boule au ventre depuis cinq mois."

Il passa longuement ses mains sur le visage, étirant la peau sur les côtés.

"Oui. Ils ont dit que les communications entre les bases n'avaient toujours pas été rétablies. Le temps de trouver un ingé' com' dans la nature..."

"Ouais... Je comprends, genre, vraiment." Leif tapote une dernière fois l'épaule de Seifur et se décale légèrement ; les contacts humains restent encore compliqués, après un tel jeûne, même avec la famille.

Le souffle lui manque soudainement, son coeur rate un battement ; ça le choque d'un coup, de se dire le mot famille, avec ce concret de la proximité.

Leif déglutit dans un petite rire nerveux. "Et tu peux pas, toi, bricoler les communications ?" Une moue lui tord les lèvres. "Mais ce n'est pas tout prêt, dans tous les cas. Je patrouille fréquemment avec Krákagrár, poussant parfois à dormir à une journée à cheval. Je n'ai rien trouvé."

Lorsque Leif lui demanda s'il était capable de se charger des communication, Seifur se tourna vers lui et s'accouda à la barrière de sécurité.

"Peut-être partiellement, mais j'ai aucune compétence pour tout ce qui est soft. Et puis la rareté de certaines pièces freinera sans doute beaucoup. Ca vaut le coup d'essayer, tout de même."

Il se racla une nouvelle fois la gorge, puis cracha par dessus bord, avec un rictus de dégoût.

"Mais toi alors, tu n'es plus en Islande ?"

"Je connais le coin, si t'as besoin d'aller fouiner dans Vannstad. Pas sûr qu'il reste des trucs mais on sait jamais..." Leif hausse une épaule. Un rire désabusé lui échappe à la prochaine question. "Visiblement que non, hein ?" Son regard se fait lointain, dans le vague d'un souvenir peu commode. "J'étais le dernier qui y restait. On avait tous rendez-vous à Trondheim. Et puis, tu sais, sur une île, avec ces merdes... J'ai préféré tenter ma chance en Norvège." Il tente un sourire qu'il espère plus convaincant. "Figure-toi qu'on a failli pas vouloir laisser sortir Krákagrár !"

Aux dernières paroles de Leif, il sourit. Manifestement, il était toujours aussi attaché aux bestioles.

"Ca n'aurait peut-être pas été plus mal, en un sens : je pense que les humains sont les animaux qui s'en sortent le moins bien, actuellement.

Désolé pour ta famille, Leif... J'avais l'espoir que ça n'était pas mondial, pour tout dire."

Puis il changea brusquement de sujet :
"Mais toi, alors ? On dirait que les jeunes du coin t'aiment bien. Toujours moniteur ?"

"Notre famille..." La voix de Leif est douce et lente, pour ne pas heurter Seifur. Il regarde ailleurs pour avaler la boule coincée dans sa gorge. "Notre ancien monde était bien trop relié pour que ces conneries ne deviennent pas mondiales." Le changement brusque de sujet apaise chez lui aussi les émotions brutes et il renifle dans un petit sourire. "Plutôt un prof. De quoi me payer des légumes et des céréales pour ne pas manger que du gibier. Je ne recommande pas ce régime."

"Oui, je voulais dire... Oui." Fit Seifur avec un hochement de tête.

Puis, lorsque son cousin lui parla de lui-même, Seifur sourit :

"Je pense que prof', ça te va bien. Et puis, c'est plus que jamais un boulot essentiel, pour l'humanité. Mais je t'avoue que je suis curieux : vous avez des champs céréaliers, ici ? Si c'est le cas, je serais très curieux de voir ça. Enfin, à moins que ça ne soit interdit au public, bien entendu."

"Oh tiens, ça serait une idée. Les champs, je veux dire." Leif regarde les alentours en grimaçant. "Quoique ça ne doit pas être facile sur une falaise... Nan, nan, ils ont juste des réserves alimentaires plus variées que les miennes."

Seifur fit les yeux ronds.

"Attends, comment ça des... Vous voulez dire que vous vivez sur vos réserves depuis tout ce temps ? Elles ne vont pas bientôt finir par s'épuiser ?"

Il se tourna vers l'horizon, songeur.

"Il faut vraiment trouver un moyen de rendre ça plus pérenne, sinon impossible de bâtir l'avenir..."

Leif fait la moue. "Les militaires gardent un oeil vigilant sur les réserves, on ne se sert pas à sa convenance." Un petit haussement de l'épaule lui échappe. "Cependant, ils apprécient particulièrement mes apports en viande et en petites provisions de la forêt." Ses yeux s'égarent au-delà de la falaise et il grimace. "Mais Vannstad se vide, de tout sauf de zombies. Tu as raison : ça peut rapidement devenir un problème. Mais où faire des champs ? Les hauteurs de la falaise sont prises par les panneaux solaires qui servent à générer l'électricité du Camp et Vannstad... bah, les zombards, quoi."

Seifur fit quelques étirements vertébraux.

"Hum... Je pense que le problème, ça n'est pas tant la surface que la perméabilité. On sait encore si peu de choses sur ce virus. Rien ne dit qu'un corps de zombie à cent mètres d'un champ ne pourrait pas le contaminer. Personnellement, je pense que le meilleur recours reste la culture sauvage : faire des expédition pour planter un maximum de graines et de glands pour faire pousser des arbres fruitiers, ça serait un début."

D'un poing léger, Leif pousse son cousin de l'épaule. "Eh ! C'est de l'idée, ça ! Je peux tout à fait ratisser Vannstad et ses alentours de graines en tout genre ! Avec Krákagrár, la chose ne me prendra pas trop longtemps, et sans danger. Je patrouille régulièrement de toute façon." Il sourit à s'en faire plisser les yeux. "Et je ne manquerai pas de semer mon chemin vers la mer de Chine."

Seifur sourit, le regard perdu dans le vide puis, à la dernière phrase de Leif, il se tourna vers lui, un froncement de sourcils interloqué au visage.

"La mer de Chine ? Qu'est-ce que c'est que c'est histoires, encore ?"

Il souriait toujours, mais du sourire de celui qui n'a pas compris une référence faite dans une langue étrangère.