Nano. RolePlay

Pavel :

Pavel avait à subir bon nombre de longues journées. En général à cause de son travail, parfois à cause d’obligations familiales, et d’autres fois à cause d’événements sociaux. Aujourd’hui avait été un mélange de tout.

La journée avait commencé lentement. Quelques appels pour le travail, une rapide visite au bureau, quelques papiers à signer… Suivis d’un long trajet de retour à la maison. La plupart des rues autour de la nouvelle cathédrale avaient malheureusement été bloquées, ce qui avait causé un embouteillage. Il aurait dû tenir compte du temps qu’il prendrait pour rentrer chez lui, mais il avait sous-estimé la popularité de l'événement.

Pavel arriva toutefois juste à temps pour accompagner son épouse et son fils au sermon dans le district Nijni. La veille au soir, Yeva s’était montrée réticente à l’idée d’exposer Isaak à la violence d’une exécution publique et Pavel trouvait heureusement aussi que c’était de mauvais goût. Histoire d’éviter que la famille brille trop par son absence, il avait décidé de rester sur la place avec ses beaux-parents, tandis que Yeva prenait congé.

Après l’inauguration, il passa par son club de gentlemen habituel pour parler de son dernier projet professionnel en fumant quelques excellents cigares. Il rentra ensuite chez lui pour recevoir ses beaux-parents pour le thé. Il réalisa heureusement que la journée avait été tout aussi longue pour eux, ce qui veut dire qu’ils se dirent rapidement au revoir plutôt que discuter longuement dans le salon.

Cependant, pas de repos pour les braves, car il avait encore une tâche à remplir dans son agenda : une conversation avec Yeva à propos de leur fils.

Yeva :

Heureusement, la visite relativement courte des parents de Yeva donnait moins de temps à sa mère pour envoyer de petites piques avec un verni de politesse. Ils parlèrent bien sûr de l’inauguration et la présence d’Isaak empêcha de s’attarder sur les détails de l’exécution (à nouveau, heureusement). Le célibat prolongé d’Ineska fut brièvement abordé, avant que Yeva ne mentionne les progrès de sa cousine avec Perle, ce qui lança son père sur ses projets pour la prochaine génération de poulains. Dans l’ensemble, la journée avait été mouvementée mais réussie, et bientôt Yeva borda Isaak avant de redescendre.

Pavel :

Comment va ton amie ?, demanda Pavel quand Yeva le rejoignit en bas. Il ne s’intéressait pas particulièrement à Oksana — ni plus ni moins qu’il ne s’intéressait au bien-être de n’importe qui d’autre dans leurs connaissances — mais cela lui semblait être un point de départ facile pour en venir où il voulait. Il n’avait jamais hésité à parler sans détour à sa femme, mais depuis sa fausse couche, elle s’était montrée particulièrement fragile dès qu’il s’agissait d’Isaak. Aborder le sujet en douceur semblait donc approprié.

Yeva :

« Je dirais qu’elle va aussi bien que possible, vu les circonstances. Elle a du mal à rester en place et est interdite de la plupart des activités qui pourraient la réconforter, ou du moins l’occuper. » Elle n’essaya pas de dissimuler son inquiétude pour son amie. Être enceinte ou veuve étaient deux positions difficiles — ou c’était du moins ce que Yeva présumait, puisqu’elle avait été l’une mais pas l’autre —, être les deux à la fois devait être éprouvant, même pour quelqu’un avec le tempérament d’Oksana. De plus, Yeva soupçonnait à moitié que son amie courrait moins de risques de s’attirer de trop gros ennuis avec la milice si elle avait d’autres manières de passer le temps ou d'obtenir des informations.

Pavel :

Je ne peux qu’imaginer, répondit Pavel, qui, en tant qu’homme, en était bien incapable. Mais son état doit être fragile. Si les médecins croient qu’ajouter des stimuli externes ne ferait que la stresser d’avantage, elle doit se fier à eux. Il versa un verre de vin pour Yeva et lui, puis mit de côté la carafe et tendit un verre à Yeva.

Yeva :

« Ce ne sont pas les médecins qui empêchent les stimuli externes, c’est la période de deuil. » Ou du moins, pas tous les médecins. Cela dépendait. « Je pense qu’elle se fierait plus à eux s’ils ne donnaient pas de conseils contradictoires qui changent chaque semaine. » Ou s’ils la connaissaient un tant soit peu et tenaient compte de ses besoins et de son caractère pour leurs instructions. Même ceux dont les conseils sonnaient semi-compétents en ce qui concernait la santé physique d’Oksana ne semblaient pas tenir compte du fait qu’elle était un individu, avec une certaine personnalité, capable de réfléchir de manière intelligente et avec des sentiments personnels. À leurs yeux, son seul trait de personnalité semblait être ‘femme’.

Pavel :

Peut-être que ses médecins donnent des conseils si divers parce qu’elle n’est pas tout à fait honnête avec eux, suggéra-t-il. Même si je ne vois de toute façon pas l’intérêt de les remplacer aussi souvent. Je me demande ce que ses beaux-parents ont en tête. Surement une inquiétude excessive. Yeva pensait à son amie, bien sûr, mais les beaux-parents étaient également endeuillés par la perte de leur fils. Peut-être la peur de perdre leur petit-enfant à cause de cette tragédie était-elle trop difficile à supporter.

Yeva :

Elle n’aimait pas que sa première supposition soit qu’Oksana puisse être une menteuse, même par omission. Pas du tout. Mais puisqu’elle n’aimait pas la confrontation, elle se retint jusqu’à ce qu’elle soit sûre de contrôler son ton et sa formulation : « Je doute qu’elle tente délibérément de se compliquer la vie. » À part ses différends avec la milice, bien sûr. « Mais je me demande aussi pourquoi ses beaux-parents sont si… indécis dans leur choix de médecin. »

Pavel :

J’imagine que nous ne le saurons jamais. Pavel n’avait pas de réponses pour sa femme. Même s’il avait été proche de feu le mari d’Oksana, il ne connaissait pas vraiment les Sidorovs. Peut-être devrait-il y remédier. Puisqu’il s’agissait d’une famille de banquier, au moins tenter d’avoir des relations cordiales avec eux ne ferait pas de tort, que ce soit pour des raisons sociales ou commerciales. Yeva, et si nous allions nous asseoir dans le salon un moment ?

Yeva :

Yeva avait le sentiment désagréable de devoir se préparer à ce que quelque chose lui tombe dessus, sans savoir quoi au juste. Mais un tel sentiment était habituel pour elle, du moins ces dernières années. Elle le repoussa donc du mieux qu’elle pouvait et l’attribua à la journée chargée et parfois pesante. Elle acquiesça en souriant à la proposition de Pavel et se dirigea vers le salon. « Tu penses que ton travail te retiendra à Moscou dans les semaines à venir ? Le lac du manoir est probablement gelé à cette période de l’année et ce serait agréable d’y aller avant le dégel. » Et de quitter la ville un moment, parce qu’après les fêtes de fin d’année, elle commençait à devenir un tantinet claustrophobe.

Pavel :

Comment refuser une demande aussi simple ? Ce serait agréable. Il devrait annuler quelques rendez-vous et avancer quelques dates butoir pour terminer ses nouveaux projets à temps, mais avec quelques ajustements et un peu de travail à distance, ça devrait être possible. Tu comptes inviter tes amies ? Amies, au pluriel. Il supposait que cette proposition soudaine avait un lien avec Oksana, mais Yeva ne manquerait surement pas une chance d’inviter sa cousine.

Yeva :

Son sourire s’élargit à l’assentiment de Pavel. Elle était ravie de bientôt revoir sa maison d’enfance (et les chevaux !) et d’éviter la foule de la capitale un moment. Puisqu’il avait deviné qu’elle comptait emmener ses amies, elle n’eut pas à aborder le sujet elle-même et elle hocha simplement de la tête. « Je pense qu’un changement de décor fera du bien à Oksana, et Ineska est toujours heureuse de voir les chevaux. Je me disais aussi que Tante Larisa pourrait apprécier de passer un peu de temps au manoir. » Ou, plus précisément, un peu de temps où que ce soit, pourvu qu’elle soit loin de son tyran de mari. Heureusement, le manoir était assez grand pour accueillir bien plus de monde encore.

Pavel :

Tu es sûre que tu veux que je sois là ?, demanda son mari, puisque le nombre de noms féminins sur la liste des invités augmentait à vue d’oeil. Peut-être qu’il devrait lui aussi inviter quelques connaissances. Au moins pour la conversation aux repas.

Yeva :

Voilà un signe qu’elle avait peut-être fait une erreur. Et avec le recul, elle comprenait que Pavel se sente peut-être en sous-nombre si elle invitait son amie, sa cousine et sa tante. « Oui. Après les derniers mois, ce serait agréable d’avoir du temps en famille qui ne soit pas dédié à de la charité ou l’organisation de réceptions. » Elle secoua la tête avec un sourire amusé : « Mais recevoir des invités n’est pas vraiment compatible avec cet objectif, pas vrai ? Peut-être qu’on pourrait simplement dissocier les deux, y aller à nous trois cette fois et j’inviterai les autres plus tard ? »

Pavel :

« Hmm… » Il ne devrait plus repousser sa discussion avec elle. Le plus tôt serait le mieux pour annoncer à Yeva que leur fils ne pourrait plus partir sur un coup de tête pour un séjour en famille au domaine. « On pourrait. Mais alors il faudrait le faire pendant les vacances. Quand les écoles sont fermées. »

Yeva :

Elle avait donc eu raison de s’attendre au pire, après tout. Yeva ne s’attendait pas à ce que ses années de pratique en dissimulation de ses sentiments lui seraient un jour utile sous son propre toit, mais c’était le cas. « Tiens donc ? Pourquoi ? » Elle n’était bien sûr pas stupide. Elle se doutait bien de ce qui allait suivre et elle le redoutait. Et pourtant, elle s’accrochait toujours au (fol) espoir qu’elle tirait des conclusions hâtives, que Pavel travaillait sur une ligne de train pour les écoliers, ou n’importe quoi, tant que ce n’était pas l’annonce qui abaisserait considérablement l’épée de Damoclès qui pendait au-dessus de la tête de son fils.

Pavel :

J’ai inscrit Isaak à l’Ecole pour Garçons Kolpinsky. Il commencera les cours au début du nouveau semestre. Il parlait calmement. C’était un fait établi et pas sujet à discussion. Tu t’es occupée de son éducation de base, mais c’est un garçon en pleine croissance et il doit poursuivre son éducation dans un environnement mieux adapté à son âge. Nous ne voudrions pas qu’il soit à la traine socialement ou intellectuellement. Tu es d’accord, n’est-ce pas ?

Yeva :

Et d’un seul coup, Pavel venait de confirmer les pires craintes de Yeva. Au prix d’un gros effort de volonté, elle évita de paniquer. Reste calme, la dernière chose que tu veux est qu’il s’imagine que tu es hystérique. « Bien sûr que je veux qu’il s’épanouisse et ne soit pas à la traine. » Elle ignora même sa fierté et ne lui demanda pas s’il avait une opinion si basse de son intelligence à elle pour qu’il s’imagine qu’Isaak souffrirait un retard intellectuel avec elle comme enseignante. « Mais c’est un changement si drastique qui lui tombe dessus au dernier moment… et est-ce qu’il ne se fera pas remarquer en entrant à l’école au milieu de l’année scolaire ? Est-ce qu’il ne serait pas mieux qu’il commence en septembre, avec tous les autres garçons ? » Il s’agissait là de tracas parfaitement fondés, pas vrai ?

Pavel :

J’ai parlé avec le directeur. Il m’a assuré qu’il garderait un oeil sur lui pour veiller à ce qu’il s’intègre. Et ça testera sa résilience et le forcera à sortir de sa coquille. La timidité n’était pas franchement un trait apprécié chez les hommes. C’est le garçon ouvert et sociable qui aura du succès plus tard. Il est à un âge crucial pour son développement. Perdre une année de plus pourrait lui faire plus de tort que commencer à la moitié de l’année. Clairement, c’était un soucis qui avait été abordé pendant sa discussion avec la direction de l’école.

Yeva :

Les arguments de Pavel étaient tous, bien évidemment, parfaitement valables et raisonnables. À vrai dire, cette discussion n’aurait même pas eu lieu sans l’unique fait que Yeva ne pouvait absolument pas mentionner, mais qui était la seule raison réelle pour son manque d’enthousiasme après cette annonce. Donc, puisqu’elle ne pouvait pas mentionner ce-dont-il-ne-fallait-pas-prononcer-le-nom, elle devait utiliser des excuses de moins en moins convaincantes, tout en étant parfaitement consciente de mener un combat perdu d’avance. « C’est un externat ou un internat ? » S’il Te plaît, Seigneur, fais au moins que mon petit garçon puisse rentrer après les cours pour limiter les risques qu’il court.

Pavel :

Il rentrera à la maison pour le moment pour faciliter la transition. Pavel ne précisa pas si c’était à Isaak ou à son épouse qu’il souhaitait faciliter la transition, mais ses yeux sous-entendaient lourdement qu’il s’agissait de la deuxième option. Je m’entretiendrai aussi avec son instructeur toutes les semaines pour vérifier ses progrès, si ça peut te rassurer.

Yeva :

Le Ciel soit loué pour ce répit. Isaak ferait toujours face à des obstacles insurmontables, mais au moins il pourrait respirer de temps en temps. Par contre, les entrevues hebdomadaires avec l’instructeur seraient une excellente nouvelle en temps normal, mais elles signifiaient surtout que l’instructeur prêterait une attention particulière à Isaak. Enfin, Pavel avait tout préparé à la perfection (elle n’en attendait pas moins de lui), ce qui rendait la tâche impossible à Yeva, qui tentait de le dissuader. Elle garda le silence un moment, faisant tournoyer son vin dans son verre tandis qu’elle tentait de trouver un autre contre-argument. « Quels cours ont-ils dans leur programme ? » Probablement rien auquel elle puisse raisonnablement s’opposer, mais elle pouvait toujours essayer.

Pavel :

Elle semblait se faire à l’idée, ce qui faisait plaisir à Pavel. Sa question montrait son intérêt, même s’il y avait toujours cette inquiétude sous-jacente. Attends, je vais chercher la liste. Elle est dans mon bureau. Il se leva, laissant son épouse seule un moment pour aller chercher les documents administratifs qu’il avait reçus plus tôt dans la journée. Et voilà. Tu verras que c’est assez complet.

Yeva :

Yeva utilisa ce bref moment de solitude pour tenter de trouver quelque chose, n’importe quoi, qui puisse faire changer d’avis son mari. Inutile de dire qu’elle ne réussit pas trop. À son retour, elle était en train de triturer son alliance, ce qu’elle faisait souvent lorsqu’elle était nerveuse ou en pleine réflexion (et, pour le moment, elle était les deux). L'administration était, bien sûr, aussi complète qu’annoncé et aussi impeccable que ce à quoi elle s’attendait. Et le programme était large et parfaitement respectable. Pas de chance. « Je suis curieuse, est-ce que certaines de nos connaissances envoient leur fils dans cette école ? Quelqu’un qu’il est susceptible de reconnaître ? » Elle touchait le fond et commençait à creuser.