Nano. RolePlay

Installé derrière son bureau, le Capitaine examinait la carte sans être dérangé par la houle au dehors qui balançait le navire sur une belle amplitude. Devant lui, la lumière de sa lanterne se déplaçait de gauche à droite, suivant l’oscillation régulière, ne mettant sa main qu’au dernier moment pour l’empêcher de tomber. Tranquillement, le Capitaine releva les yeux sur cette lanterne.

▬ Tu n’as pas le mal de mer toi, heureusement. Quoique je me demande ce que ça donnerait.

Posant sa plume d’oie, Bellamy attira la lanterne à lui. Ou plutôt était un bocal. A l’intérieur de celui-ci, pas de flamme mais une étrange petite sphère de lumière qui servait d’éclairage au Capitaine.

La source de lumière, qui n’était ni une flamme de pétrole ou une bougie de cire, voleta à l’intérieur de sa minuscule maison de verre. Elle brillait avec une douceur réconfortante, pile à la bonne intensité pour éclairer parfaitement le travail de son propriétaire. D’un ongle peu entretenu et un peu trop long sans doute, le vampire tapota sur la vitre, regardant pensivement cette chose incongrue.

Il l’avait ramené sur son navire, générant autant l’émerveillement que la peur chez ses hommes. Comme au départ, il trimballait cette drôle de lumière partout avec lui, certains pensèrent que le Capitaine Bellamy avait perdu la raison.

Et nombre d’expérience furent menées par Oliver pour en apprendre davantage.

Mais jamais elle n’avait vraiment faibli et Bellamy pu ainsi constater que cette lumière semblait comprendre son environnement. Elle adaptait sa lumière au besoin de ceux qui l’entourait. Elle réglait son intensité, semblant répondre de manière très primitive aux sollicitations. Ainsi Bellamy pu décoder une sorte de langage de base.

Cette lumière était donc douée d’intelligence, capable de communiquer.

Il avait naturellement accepté cette possibilité, mettant de côté les superstitions de son équipage. Après tout, il était lui-même un vampire alors l’idée qu’une autre sorte de créature un peu « hors-norme » existe, n’était pas si incongrue.

▬ Cette fois-ci Loupiote, nous allons devoir affronter une très grosse tempête. Les hommes qui me servent équipage n’en mènent pas large, à croire que les Humains n’ont pas tout perdu de leur instinct.

Un affreux sourire vint décorer le visage du Capitaine tandis que plusieurs livres chutèrent au sol. Le bateau s’inclina beaucoup plus fort sur le blanc à presque quarante-cinq degrés.

▬ CAPITAINE !

Son second venait d’ouvrir la porte à la volée, laissant les vents de la tempête en approche s’engouffrer dans son quartier. Plusieurs carte et feuilles s’envolèrent sous la violente bourrasque.

▬ Je sais, Finnigan, c’est l’heure…, déclara solennellement Bellamy qui enfonça son tricorne sur sa tête d’épouvantail. A tout à l’heure Loupiote.

Il offrit un autre sourire en fil de fer et s’avança avec un flegme propre aux anglais qui ne le quitterait jamais.

Ainsi, il avait laissé Loupiote derrière lui.

Et à peine vingt minutes plus tard, tout le navire était en souffrance. Le ciel et l’océan noirs comme de l’encre n’étaient illuminés que par les éclairs. Le tonnerre retentissait avec une telle sauvagerie que le vampire en ressentait les vibrations jusque dans ses os.

Le bâtiment était secoué de toute part alors que le Capitaine luttait à la barre pour tenter de maintenir la frégate face à la houle. L’océan comme les cieux rugissaient, réduisant l’imposant navire à une fragile coque de noix.

Et puis il la vit au dernier moment.

La monstrueuse vague scélérate se souleva brusquement tel un mur d’eau prête à engloutir le navire.

Elle s’abattit sur le pont, couchant le navire à l’horizontal. Fermement accroché à la barre, trempé jusqu’aux os, Bellamy vit plusieurs hommes basculer dans les eaux noires et bouillonnantes. Pris dans un balancement mortel, la frégate commença à basculer à l’opposé. Sous la force colossale des éléments, le mât principal se brisa et donna un effet catapultant à la coque qui bascula brutalement de l’autre côté.

Le navire gémissait, la structure en souffrance ne parvint pas à résister et finit par émettre un craquement sinistre. Puis un autre. Comme des râles d’agonie, l’équipage s’affolait avant qu’une autre vague ne retourne complètement le navire.

En un instant, Bellamy se retrouva entrainé sous l’eau.

Les sons distordus, il sut qu’il avait perdu cette bataille face à son cher et tant aimé Océan. Dans les eaux sombres il distingua les éclats de lumières des éclairs, leur grondement étouffé par le liquide salin. Puis une lumière forte émanant des vitres de sa cabine attira son attention. Plus intense que jamais, Loupiote appelait à l’aide. Sans réfléchir, Bellamy plongea dans sa direction.

Et le vampire, bien conscient qu’il devait mettre toutes les chances de son côté pour survivre à ce coup du destin, fit appel à son alter ego. Son pouvoir incarné dans une Bête monstrueuse dont il prenait la forme.

Et c’est une gueule monstrueuse passant par la vitre brisée qui fit face au bocal. La peau noire collait à la boîte crânienne, marquant des arcades protégeant des yeux enfoncés et vides. Le museau semblait dénué de chair, plaquant des narines effilées et frémissantes sous le souffle puissant. Les fines lèvres marquaient une gueule à la grandeur redoutable, parfaitement hermétique.

Elle attrapa le bocal dans sa gueule sans attendre et extirpa sa tête de la cabine puis se servit de la structure du navire pour se propulser vers la surface.

Le corps long et musculeux laissait entrevoir des os saillants qui semblaient vouloir percer la peau à chaque mouvement. S’étendant dans son sillage, une longue queue effilée qui servait autant de propulseur que de gouvernail, proche de celle d’un reptile. Et à son extrême opposé, l’encolure et la tête, qui étaient presque aussi long que le reste du corps, s’étiraient vers l’avant. Parcourant toute l’échine se dressaient des épines dorsales.

Elle fila droit vers la surface, à l’écart du tumulte du naufrage avec la précieuse et mystérieuse Loupiote.

La nuit suivante, une frégate anglaise subissait l’attaque de ce que le défunt équipage qualifia de « Léviathan ».

Dans l’affolement général, le Capitaine sous sa forme de Bête avait craché son bocal sur le pont avant d’en tuer une bonne partie. Quand il avait retrouvé sa forme humanoïde, Bellamy avait alors ponctionné les hommes entre la mort et la vie pour compenser l’énorme dépense d’énergie dépensée. Il n’était pas au mieux de sa forme mais il avait au moins récupéré un navire.

Une fois à peu prêt d’équerre, il s’était installé sur le pont supérieur, le dos contre le mur des quartiers de l’ancien Capitaine. Le bocal tenu sur ses cuisses, il l’observa un moment de la cendre de son regard.

▬ Quelle aventure, n’est-ce pas Loupiotte ? Si seulement Quon pouvait comprendre que nous sommes loin d’être si immortels que ça…

Les mains crasseuses entourèrent le bocal comme des serres l’auraient fait.

▬ Regarde comme c’est beau.

Le vampire porta son regard sur l’Océan qui avait retrouvé son calme depuis l’autre nuit. La houle était douce et régulière et le navire continuait de fendre lentement les eaux. La brise faisait légèrement claquer les voiles dans un frémissement serein. Le ciel chargé d’étoiles laissait éclater toute la beauté de sa voie lactée.

▬ Ici je vis. Ici le monde est à celui qui veut le prendre et l’embrasser. En son sein, nous sommes le tout et le rien à la fois. Si j’appartiens aux miens, et à lui, j’appartiens aussi et avant tout à l’Océan. Nous avons vécu beaucoup d’aventures toi et moi…

Le Capitaine se leva et emporta avec lui le bocal où loupiotte voletait. Il marcha jusqu’au garde-corps alors qu’au loin une bande de terre se dessinait. L’éternel sourire aux lèvres, Bellamy observa la lumière qui s’agitait paisiblement dans le bocal, comme si elle approuvait les dires du vampire.

▬ Tu as été un compagnon de route exceptionnel Loupiotte. Tu as été, je crois, mon deuxième meilleur second.

Le Capitaine laissa un silence se poser avant que son sourire ne s’affine un peu plus, Loupiotte clignotant dans un rire silencieux. Et malgré la sincérité de l’immortel, son physique faisait toujours penser à de la malveillance profonde, comme s’il avait toujours plusieurs plans d’avance. La petite sphère de lumière clignota alors plus lentement.

▬ Je crois qu’il est temps que tu retrouves ta liberté mon ami.

Sans hésitation, Bellamy posa sa main sur le couvercle. Loupiote brilla plus fort l’espace d’un instant, comme si elle semblait surprise par le geste.

Et Bellamy ouvrit la prison de verre.

Sans attendre, Loupiotte s’en extirpa et se mit à briller si fort que l’immortel du plisser les yeux et détourner le visage le temps que la créature ne retrouve une luminosité plus supportable.

Elle voleta sans hésitation autour du Capitaine avant de l’effleurer. Pour la première fois, Bellamy pu en ressentir sa douce chaleur et il se contenta de la suivre du regard. Elle brillait à la manière des étoiles et commença à s’élever doucement dans les airs.

Puis elle fila si vite dans le ciel qu’elle n’en laissa qu’un bref trait de lumière avant de disparaître.