Nano. RolePlay

L'heure n'était pas aux devoirs et aux projets de groupe. Dans la bibliothèque, il n'y avait pas âme qui vive, que ce soit entre les étagères de livres tantôt rutilantes tantôt poussiéreuses (selon les rayons) ou au niveau des tables de travail. Personne excepté Oriana, vêtue de sa tenue et de son masque fétiches, accompagnée de l'Esprit du Code, dont la forme favorite était celle d'un manteau imperméable flottant avec des gants en guise de main (à la Rayman) et un ordinateur avec deux yeux LED en guise de tête.

Oriana et Furaha, après leur quête en Égypte et la résolution de ce fichu problème de traduction, avaient découvert, en parlant enfin à Trickster, qu'il avait ressenti une envie aussi immense que soudaine de flanquer la zizanie en Égypte, et que cette envie, qui avait pris des tournures anormalement malsaines venant de lui, avait disparu au moment ou nous avions gagné son jeu. Quant à l'Esprit du Code, Cryptos, il avait soudainement été pris d'un sommeil irrésistible... Ce n'était que récemment, un peu après la libération des Esprits de la Langue et de la Traduction, qu'il s'était réveillé et avait pu répondre aux invocations d'Oriana.

Ces deux choses-là étaient à coup sûr l'oeuvre de shamans malveillants... Des Brisemorts ? pensa-t-elle en consultant un livre, qu'elle ferma en le "clappant" d'une main. Mes craintes se concrétisent de jour en jour... L'heure est plus que jamais à la préparation.

Le calme fut soudainement rompu par l'arrivée agitée de Furaha qui s'engouffra entre deux rayons dans un vif mouvement. Elle serrait contre elle une sacoche bien garnie. "Ce doit être par ici..." marmonnait-elle pour elle-même alors que ses mains pressées cherchaient un livre.

Juste après avoir rangé le livre, Oriana entendit et vit alors Furaha entrer à son tour dans la bibliothèque, d'un pas hâtif, munie d'une sacoche pleine à ras-bord. Elle et Cryptos se regardèrent, puis elle se rendit quatre rangées plus loin pour retrouver sa collègue et amie. Elle portait de discrètes sandales amérindiennes comme chaussures, mais le sol grinça quand même légèrement à chacun de ses pas. Hola, fit-elle. Cryptos, à ses côtés, leva la main en guise de bonjour, ses yeux LED affichant une expression contente. Oriana regarda le rayon ciblé par Furaha. Je vois qu'on a eu la même idée. Je n'ai rien trouvé pour l'instant.

N'ayant pas fait attention à son environnement, Furaha fit un bond de chat en posant de grands yeux sur Oriana ; et ses mains serrèrent encore plus la sacoche contre elle en un geste protecteur. Un mini lion-antilope noir bondit alors sur ses épaules, les poils hérissés, mais il se calma en reconnaissant les intrus. Un ronronnement retentit dans l'oreille de l'enseignante qui hocha la tête. "Oui, tu as raison, Palasimbhala, nous avons besoin d'alliés." Elle zieuta de droite à gauche puis attrapa le bras d'Oriana pour lui parler sur un ton de confidence. "Domino et moi avons trouvé des informations sur le campus Favelras. Et on nous a menti."

Elle tourna la tête vers Cryptos. Il acquiesça et enveloppa d'un sort de codage Oriana, Furaha et Palasimbhala. À présent, personne ne pouvait comprendre ce qui allait être dit à part eux quatre. Alors que Furaha lui prit le bras, le regard d'Oriana refléta soudain un léger agacement. Tu sembles de plus en plus aimer me tirer le bras, Furaha... Cette dernière révéla alors l'existence d'un complot lié au camp Favelras. ¿On nous a menti? ¿Comment ça? La prof de langue d'invocation était tout ouïe.

Une teinte grenat s'étendit sur les joues de l'Ethiopienne qui lâcha sa collègue en expirant doucement l'agitation qui faisait bouillir son sang. "Je m'excuse, Oriana. Je suis encore sous le coup de l'émotion." Et elle avait l'habitude d'être tactile aussi. Ses yeux pâles luisaient de colère au souvenir de ses découvertes. "Muse a décidé de jouer avec la Vérité historique." lâcha-t-elle subitement avant de jurer dans sa langue natale. Palasimbhala coucha les oreilles, la queue agitée. "Foi d'historienne, je ne laisserai pas les choses se dérouler ainsi sans réagir ! L'Esprit de l'Histoire m'est même apparue pour m'inciter à enquêter."

Oriana avait du mal à y croire. Muse était la gardienne du secret des Shamans, et l'un des Esprits les plus anciens et importants de l'Administration. Il y avait forcément une raison pour qu'elle manipule les textes historiques. Mais était-ce une bonne raison ? Fronçant les sourcils, visiblement perturbée : ...¿Muse? ¿Qu'est-ce qu'elle a donc modifié?

"Saurais-tu me raconter la mort de Julio ? Ou même les événements de l'année 1762 ?" demanda Furaha en agitant le bouquin qu'elle avait pris sur l'étagère. Elle le posa sur une table et l'ouvrit à la page traitant des Brisemorts. "C'est le manuel d'Histoire shamanique. Et ceci..." Elle plaça à côté les feuillets qu'elle avait trouvé dans ses fouilles. "C'est le récit de l'Archiviste du campus Favelras. L'un ne raconte rien, l'autre voit toutes ses informations importantes... envolées. Les lettres se mélangent ou se floutent, des mots disparaissent, c'est totalement illisible. Muse a camouflé la mort de Julio."

Oriana s'appuya sur la table pour lire les documents "défectueux" tout en digérant l'annonce de cette nouvelle. Non seulement Bruxia avait vraisemblablement un traître dans ses rangs, mais surtout, il s'agirait d'un des Esprits les plus anciens et respectés du monde shamanique. Aucun son ne sortit de son masque d'aigle pendant une bonne dizaine de secondes, avant qu'elle ne prit enfin la parole.
¿Qui est au courant?

"A part toi et les Esprits autour de nous, seuls Domino et l'Esprit des Voleurs. Ils étaient avec moi quand j'ai fouillé le Campus Favelras." répondit Furaha qui ne cessait de froncer les sourcils, sa colère courant toujours sous sa peau. "Domino est partie en quête d'alliés, comme moi. Et l'Esprit des Voleurs gardera le secret s'il veut son escape game en récompense."

La dernière information ne manqua pas d'arracher un gloussement à l'Argentine. Mais elle reprit vite son sérieux. Julio ne serait donc pas vraiment mort... Ça ne m'étonne qu'à moitié. De connaissance populaire, on a toujours dit que Julio était "vaincu"... et non "tué". Un temps. Elle baissa les yeux, puis les replongea dans ceux de Furaha. Eh bien, la seule solution qui apparaît, c'est de l'invoquer pour lui demander des explications. C'est pour cela que tu recherches le plus d'alliés possible. Il n'y a plus qu'à prier pour qu'elle ne soit pas "monopolisée" par les Brisemorts...

"Pas mort ?" s'étonna Furaha avec de grands yeux. Elle n'avait pas poussé la réflexion aussi loin. "Penses-tu que ce soit la raison ayant poussé Muse à camoufler la vérité ? Ce serait tellement gros !" Et elle sentait sa juste colère flamber de plus belle. "Oui, je compte l'invoquer et la questionner." gronda-t-elle entre ses dents serrées.

¿Pour quelle autre raison la vérité sur la mort de Julio aurait été camouflée, si ce n'était pas dans l'intérêt même des Brisemorts? Faire croire à l'ennemi qu'on est en position de faiblesse, voire vaincu... C'est un excellent moyen de l'amener à être sous-préparé face à une attaque surprise ou un complot. À baisser sa garde. L'air grave : Et les problèmes récents connus par Bruxia et le monde shamanique sont bien sûr tout sauf une coïndidence avec ce que tu as découvert. Un temps. Peut-être qu'après la défaite des Brisemorts, ces derniers ont accumulé suffisamment de puissance pour invoquer Muse et la contraindre à falsifier l'histoire...

Furaha secoua la tête. "Non, mon amie, n'extrapole pas si vite." C'était sévère mais la Lionne de Nuru était animée par le sable brûlant de sa colère. "J'ai fait un cours le mois dernier sur cette question et le même constat a été identifié. La falsification est ancienne." Elle se frotta le menton. "Et il n'est pas dit que Muse soit du côté des Brisemorts. Elle pourrait cacher un secret qui remettrait en question l'équilibre actuel entre les Shamans et les Esprits. Car si Julio n'est pas mort... il a trois cents ans."

Je ne tire pas de conclusions hâtives, je formule des hypothèses dans une perspective d'échange. D'où mon "peut-être". Et Muse n'a pas besoin d'être du côté des Brisemorts si elle a juste reçu un sort d'hypnose partielle insérant une simple commande mentale, et le sort se serait - peut-être - estompé tout de suite après. C'est ce qui est arrivé à Trickster, le sort s'étant estompé une fois qu'on a joué ses "jeux"... Et par "après leur défaite", je voulais bien dire "juste après". Un temps. Cependant... Ton hypothèse tient la route. Quand même...
300 años...
Imposible... ¿Julio serait devenu un Esprit? C'est à peine croyable...

"Jeter un sort d'hypnose à un Esprit aussi ancien ? Il faudrait que Favelras en personne soit libre de ses actions." Un frisson la parcourut à cette idée et Palasimbhala se frotta contre son cou en ronronnant. Cela lui rappela quelque chose. "Palasimbhala ne se souvient pas des événements d'il y a trois siècles, juste d'être du côté des Nuru. Muse joue avec l'Histoire depuis un moment, ce n'est pas récent. Quant à ton hypothèse pour Julio..." Elle se mordit la lèvre. "Est-ce même possible ?" A cette idée, Palasimbhala s'hérissa en feulant. "Cela renierait le Cycle de la Vie de Julio." gronda l'Esprit.

¿Qui aurait pu croire que Muse elle-même toucherait à l'Histoire? À ce stade, il faut s'attendre à l'IMpossible. L'Esprit du Code était en train d'examiner le récit de l'Archiviste. Est-ce que tu penses pouvoir déchiffrer ça, Cryptos ? Malheureusement non, ma chère. Tout code a des règles, qu'elles aient des exceptions ou non. Et ces inversions ne suivent aucun pattern. Oriana se mit dans une pose de réflexion. Un momento... Si Muse voulait vraiment étouffer une vérité, ¿pourquoi a-t-elle effacé un document et transformé l'autre en gloubi-boulga textuel? ¿Pourquoi ne pas faire l'un ou l'autre pour les deux documents? ¿Voire éditer les deux?

"Le manuel n'a pas été effacé. Il n'a pas été écrit en premier lieu, vu que personne ne se souvenait de l'Histoire." nuança Furaha. "J'ai toujours trouvé cela bizarre, cette absence de sources et de traces sur Julio et ses Brisemorts, mais je n'aurais jamais cru qu'un Esprit aussi ancien et puissant ait eu l'audace de falsifier la Vérité historique." La Shaman soupira en se frottant les tempes. "Quant aux documents de l'Archiviste, ils étaient cachés dans un coffret. Certains ont été brûlés... sans doute qu'il aura hésité jusqu'à la fin entre sa peur des informations détruites et son devoir." Ce qui n'augurait rien de bon sur cette vérité...

Le niveau de curiosité d'Oriana était à présent au même niveau que celui de Furaha. À ce stade, on tourne en rond avec des hypothèses. La seule manière d'en avoir le coeur net, c'est de trouver des alliés pour invoquer l'intéressée et lui poser la question nous-mêmes. Un temps. ¿Et qu'en est-il de Cumulo?

Furaha hocha la tête à la proposition d'Oriana puis grimaça en se frottant les tempes. "Cumulo... Il est souvent en compagnie de Muse et à la tête de l'Ecole. Qui nous dit qu'il ne soit pas au courant ?" Elle croisa les bras. "Personnellement, je ne l'impliquerais qu'en dernier recours."

Oriana n'y avait pas pensé. Les ramifications pouvaient être encore plus importantes si le Directeur lui-même avait masqué la vérité jusqu'aux enseignants eux-mêmes. Mais quelle était cette vérité ? ... Oui, tu as raison.

"Malheureusement..." Le visage de Furaha affichait un air grave et triste. "Et je crains que nous soyons au début d'un grand chamboulement. L'apparition du 4e Campus ne peut pas être une coïncidence. Quoi qu'il arrive, nous devrons être prêts." Elle se tourna vers Oriana, déterminée. "Parée à chercher d'autres alliés ?"

Au fond de nous, nous avons toujours été prêtes. C'est le rôle des enseignants, et des protecteurs du monde shamanique. Crypto, à côté d'elle, fit oui de la tête. Allons d'abord recruter du côté des autres enseignants... en espérant ne pas avoir à recruter des élèves si possible. Et, ¿Furaha? Elle marqua une pause en fixant sa collègue des yeux. Merci de m'avoir fait confiance.

"Je ne compte pas impliquer les élèves..." marmonna Furaha en fronçant les sourcils. Son visage s'adoucit quand Oriana la remercia. "Allons donc ! Nous avons une amitié solide entre collègues, qui n'a été que plus renforcée par l'incident avec Trickster. Et puis, tu cherchais déjà des informations. Cela coulait de source de t'en parler." Elle se frotta le menton. "Comment pourrions-nous choisir intelligemment ceux et celles à qui nous pouvons faire confiance ?"

Oriana et Cryptos réfléchirent également. Il nous faut faire appel à un Esprit. Je suggère celui de la Sincérité. Avant de les informer de ce que Muse a commis, on devrait leur poser des questions pour nous assurer qu'ils ont pleinement l'intention de nous aider et à ne pas révéler un secret, aussi lourd soit-il, aux mauvaises personnes : et l'Esprit vérifiera leurs dires à chaque réponse. Mais le problème avec cette idée, c'est qu'il faut très bien choisir à qui poser les questions... Un temps. Commençons déjà par nos collègues. Mais si Cumulo est à appeler en dernier recours, alors évitons ceux qui parlent le plus souvent avec lui.