Nano. RolePlay

La statue était encore blanche comme le marbre. Le sculpteur avait fini son travail, mais le peintre devait encore commencer. Oksana s'était arrêté devant l'atelier quand son regard avait été attiré par celui de Marie. Sereine, un petit sourire aux lèvres, les yeux doux visés vers son ventre gonflé, ses mains posés aimablement en haut et en bas du dit-ventre pour y tirer le regard des spectateurs. Une dichotomie totale avec Oksana, qui faisait tout son possible pour dompter le ventre et l'abriter des regards curieux.

La vierge Marie.

La veuve gloussa. Pauvre Marie. Souffrir la grossesse sans avoir connu le plaisir de la chair. Était-elle une sainte car elle avait porté Jésus Christ dans son utérus ou car elle avait conçu un enfant sans passer par la chambre à coucher ? Si ne ressentir aucun plaisir durant les nuits partagées avec son mari était une condition préalable pour devenir une sainte, Dieu savait qu'Oksana ne le deviendrait jamais.

Elle ne devrait pas traîner. Elle avait réussi à perdre Ludmila dans la foule, mais dans cet accoutrement elle était aussi discrète qu'une mouche dans un verre de lait. Il n'y avait pas cinquante femmes qui portaient le voile à la place Sainte-Catherine. Et encore moins avec un ventre à cacher.

A quelques encablures, un jeune homme était bien loin de ce genre de préoccupations concernant ces plaisirs éphémères pour les simples et bonnes raisons que 1. il tenait à son âme et 2. il avait d'autres choses à faire (et surtout 3. Pasha ne voudrait jamais (mais c'est la nanite qui s'égare là)). Or, courir après les voleurs à la sauvette ne faisait pas partit de ses tâches. "Mais attrapez-le !!" hurlait un commerçant alors qu'un homme plutôt épais bousculait les passants pour s'échapper. Klyde se précipita pourtant aussi vite qu'il le put... pour rattraper de justesse une jolie dame qui fut renversée par le rustre.

Une jolie dame ? Peut-être un jour avant l'arrivé de ce ventre et, avec un peu de chance (et de l'effort), après également. Mais pas aujourd'hui. Oksana se comparait positivement à une baleine. Et elle n'était pas encore à mi-chemin ! Que le Seigneur protège sa figure.

Oh ! s'exclama-t-elle quand elle atterrit soudainement dans les bras d'un galant passant. Si elle s'était blessé contre le pavé, plus jamais aurait-elle pu sortir de sa chambre. Quel ange gardien venait de la sauver de cinq sombres mois privés de sorties ?

"Vous allez bien madame ?" lui demanda le fameux ange aux yeux bleus. Les bras que l'on devinait aussi chétifs que sa silhouette la soutenaient pourtant sans mal, aidant la jeune femme à se remettre droite sur ses talons. "Il ne vous a pas fait de mal ?" La voix était douce, un brin candide, mais le ton restait clair. Presque harmonieux.

"Madame". Elle n'avait que 25 ans mais ce mot la fit sentir comme une centenaire. Cela avait été différent quand Ilya était encore à ses côtés. Non, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé. Elle lâcha son bras quand elle retrouva sa stabilité et examina le jeune homme devant elle à travers le voile. Il avait l'air jeune. Trop jeune pour elle. Vu ses vêtements, il n'était certainement pas aisé non plus. Dommage. Candidat rayé.

Klyde eut un sourire engageant. Les choses se passaient toujours mieux quand il souriait (même avec Pavel !). "Et votre enfant ? Votre bébé n'a rien eu ?" Vu le reste de sa corpulence, il n'avait pas de doute sur ce qu'il avançait.

Ugh. Elle avait pourtant bien serré le corset ce matin. Oksana en était malheureusement au point de sa grossesse où elle ne pouvait plus cacher son ventre avec la même facilité qu'il y a quelques mois. Il n'y a pas raison de s'inquiéter. Par pitié. Mais je vous remercie pour l'intérêt, monsieur... ? Elle aurait pu dire 'jeune homme', mais Oksana connaissait aucun homme qui aimait se faire prendre pour un garçon. Contrairement aux femmes de son âge, ils privilégiaient être vu comme plus âgés, même dans l'adolescence.

"Il y a toujours raison qu'une mère s'inquiète pour son enfant, non ? .... enfin... je crois..." Il avait peut-être trop en tête les figures maternelles bibliques bienveillantes, comme la Vierge, mais n'oubliait pas que ceux côtoyés dans son enfance avaient été abandonnés par leurs parents. Lui y compris. "Klyde. Juste Klyde" lui répondit-il avec un autre sourire, se rappelant les "Monsieur Klyde" d'Anouchka. "Et vous Madame ?"

Elle voulut lui signaler qu'à ce stade ce n'était certainement pas encore un enfant, mais Oksana n'était pas convaincue que l'instinct maternelle allait réellement être éveillé après l'accouchement. Elle ? Mère ? Et puis quoi ? Allait-elle s'isoler dans sa maison comme le faisait Yeva ? Non merci. Elle se contenta de pas lui répondre (trop intime pour partager à un parfait inconnu !) et répondit à l'échange de noms : Oksana Vasilevna Sidorova. Pour le moment. Enchanté, "Juste" Klyde. Un échange de sourires.

Des hommes en uniforme, des policiers, arpentaient la rue et demandaient à fouiller les boutiques et l'atelier de sculpture à la recherche du voleur, d'indices ou de complices pour ce qu'en savait Klyde. Ce dernier continua de jouer les innocents, résistant à l'envie de baisser les yeux -{Ils sont le miroir de l'âme Trésor}- quand l'un d'eux les aborda. "Madame" la salua-t-il, "avez-vous vu un va nu-pied s'enfuir il y a quelque instant ?" Il jeta ensuite un regard au garçon, les sourcils froncés. "Cet individu vous importune-t-il ?"

Oh, pas du tout. Ce "monsieur Klyde" devait faire tâche à ses côtés pour évoquer une telle question du gendarme. Elle n'avait pourtant pas choisi l'une de ses robes les plus extravagantes. Impossible vu le deuil. Au contraire, il a été assez galant pour venir à mon secours quand ce criminel m'a bousculé. Mais l'agitation pourrait trop facilement attirer Ludmilla qui était sans doute encore à sa recherche. Je crains cependant que ces évènements m'ont demandé beaucoup trop d'efforts, fit-elle en feignant un malaise, sa main posé contre son ventre, auriez-vous l'amabilité de m'accompagner à un endroit où je pourrais me reposer, monsieur Klyde ?

"Merci pour votre contribution, bonne journée madame et que Dieu vous garde" se retira le policier en levant le bord de son couvre-chef. Klyde ne savait pas trop s'il devait aider Mme Sidorova, la tenir ou lui tendre le bras et si les conseils de Maksim sur comment se comporter avec bienséance avec une femme pouvaient lui servir pour ce cas. Sveta disait oui elle. "Bien sûr Madame. Puis-je vous accompagner à.... -qu'aimaient les filles plus âgées que lui ?- un salon de thé ?"

Seulement si ce n'est pas un salon de thé où elle allait être reconnu. Comment expliquer qu'elle se faisait accompagner par un parfait inconnu à son entourage ? Et que dirait sa belle-mère, surtout ? "Comme c'est inapproprié !" Certainement, mais pas trop loin de préférence. Pas parce qu'elle aurait du mal à marcher si loin (même si c'était ce qu'elle voulait sous-entendre), mais parce que personne devrait la reconnaître dans ce quartier de "petit peuple".

"Je connais quelques enseignes proches." Même si "connaître" était un bien grand mot, il les avait surtout repérées lors de ses patrouilles. Usant de tous les stratagèmes du milicien albinos, Klyde put la conduire avec galanterie jusqu'à un salon modeste mais à première vue bien entretenu et sans histoire, la clientèle était simple mais excluait ces accros à la vodka et pas la moindre suspicion de démon à sa connaissance (mais là encore, cela ne voulait rien dire). "Ici vous conviendrait-il ?" lui demanda-t-il. Une fois la dame en sécurité, il pourra reprendre sa ronde l'air de rien.

Quelle horreur ! Qu'est-ce qu'elle devait souffrir pour un petit moment de répit. Elle tenta de pas faire lire la désapprobation sur son visage et força un petit sourire. Oui, tout à fait. Elle aurait pu laisser la rencontre se terminer là, mais le regard aiguisé d'Oksana remarqua une tête blonde familière dans la foule. Oh c'est pas vrai ! Vite ! Aaah, s'il vous plaît, ne me laissez pas seule comme ça. Je suis toute chamboulée. Elle n'attendit pas la réponse du jeune homme pour le tirer à l'intérieur.

C'était bien la première fois qu'il se faisait entraîner de la sorte par une jolie dame et l'expérience lui fit tout drôle. Que devait-il faire maintenant ? Parler de la pluie et du beau temps ? La reconstruction de la cathédrale ? Il n'avait pas vraiment les moyens de l'inviter à prendre une collation, pas dans ce genre d'endroit. "Vous auriez pu me dire que vous n'aimiez pas avant de rentrer" opta le caneton. Elle n'avait peut-être pas voulu le contrarier mais lisant facilement les micro-expressions de Pasha au quotidien, cette femme était un livre ouvert pour lui.

Zut. Avait-elle été si transparente ? J'avais besoin de m'asseoir et boire quelque chose de chaud. C'était l'endroit le plus proche, non ? Traduction : pas le choix. Elle n'aimait pas souligner sa grossesse, mais parfois c'était l'excuse parfaite. Allons, asseyez-vous. Accompagnez moi un petit moment.

Que devait-il faire...? {Il est trop tard pour faire demi-tour Trésor et le policier veille toujours.} Mince. Échapper à la vigilance des gens était facile mais la beauté de la brune attirait trop de regards pour espérer s'éclipser en douce, son absence serait remarquée. "Si vous insistez" s'inclina légèrement Klyde en tirant une chaise pour lui permettre de s'installer (dans un coin qu'il avait choisi, sa mission ne s'arrêtait pas pour autant, jamais). Et maintenant ? Que ferait Maksim à sa place ? "Vous reprenez des couleurs, cela vous va mieux au teint." La charmer ?

Ce n'était pas forcément un compliment, mais c'était mieux que "tu es si pale", "es-tu malade ?", "tu as des cernes, il faut que tu te reposes plus pour le bébé". Et Oksana avait soif des compliments, donc : compliment. Oui, je me sens déjà mieux. Meh. Je vous offre une boisson ? Normalement elle aurait insisté à ce que l'homme propose, mais celui-ci avait l'air d'avoir besoin de ses sous.

Si sous il avait encore... quoique, avec Pavel qui avait dit lui donner sa solde, il pourrait de nouveau manger correctement. Une partie de ses réserves actuelles restaient pour le rouquin et les collations/informations avec le milicien albinos (une chance qu'une maraichère qui l'aimait bien lui donnait parfois ses produits trop gâtés pour la vente). "Je..." commença-t-il incertain. {Uhm uhm.} "J'apprécie le thé à la bergamote mais je ne suis pas contre en découvrir de nouveaux ; que me conseillez-vous ?" Sveta avait raison, autant en profiter pour en apprendre un peu plus sur cette femme.

Ce qu'elle conseillait ? Rien qu'elle ne puisse dire à un jeune homme qu'elle venait de rencontrer. Ni d'ailleurs avec son gros ventre. Elle ne put s'empêcher de soupirer alors qu'elle prit le menu qui était plié au milieu de la table entre ses doigts. Voyons... Elle fut agréablement surprise de la sélection. Oh, il y a du lapsang souchong. Prenons ça. Il était temps de voir ce thé se rependre dans les petits salons !

Il prit place également, maintenant un dos droit et la tête haute. {Le regard aussi, n'oublie pas} continua Sveta, peu désireuse de le laisser se défiler. Klyde y voyait encore un exercice qu'elle voulait lui faire pratiquer et sans son ami à ses côtés, il devrait gérer seul. Aussi, quand une serveuse se présenta à eux, il prit la liberté de passer commande. "Deux lapsang souchong je vous prie et... désirez-vous autre chose Madame ?" se renseigna-t-il avant que l'employée ne reparte.

Non, ça ira comme ça. En vrai elle avait des envies étranges mais Oksana n'était pas du genre à céder dès la première envie. L'impulsivité n'est pas une caractéristique d'une femme de haute société. Certaines feraient mieux de l'apprendre, d'ailleurs.

Le serveur s'inclina devant la brune et s'éclipsa, laissant le pauvre Guide incertain de la marche à suivre. "Pour tout vous dire Madame Sidorova, je ne vois pas en quoi vous être utile... hormis en partageant une tasse de thé le temps de vous remettre de vos émotions" osa-t-il exprimer le fond de sa pensée (enfin, le vrai fond était le domaine de Sveta, il ne s'y aventurait pas).

N'est-ce pas assez ? demande Oksana en inclinant sa tête. Ses yeux, les fins observateurs qui cherchaient toujours à trouver des failles dans les déguisements sociaux des gens, s'attaquèrent à l'étrange jeune homme devant elle. Il avait les yeux tellement bleus. Vous portez des lentilles ? Elle n'aurait jamais posé une telle question à quelconque membre de la haute société, mais elle était dans un salon miteux avec un garçon qui portait sûrement ses chaussures jusqu'à ce qu'elles soient trouées. Quelles seraient les conséquences ?