Nano. RolePlay

Preuve que les miracles existaient, Yeva était de retour chez elle. Enfin. Finis les passages inexpliqués d’un monde à l’autre, les créatures étranges et les rituels louches. Elle aimait les voyages et les découvertes, mais elle préférait avoir le contrôle de sa destination et des modalités du voyage, merci bien. Et si elle ne raffolait pas des dirigeables, elle avait désormais découvert que le dragon et la téléportation étaient des moyens de transport encore pires. Mais elle avait maintenant retrouvé le confort familier de son domicile. Nastya avait toujours l’air un peu mal à l’aise en sa présence, mais cela lui passerait (ou du moins Yeva l’espérait).

Les premiers jours après son retour, elle avait été tendue, certaine que d’un moment à l’autre le récit de l’apparition « démoniaque » chez elle atteindrait les mauvaises oreilles et que signerait son arrêt de mort (et potentiellement celui de sa famille). Mais il n’en avait rien été, et elle avait pu retomber dans une routine familière et réconfortante.

En parlant de routine, un bref coup d’oeil à l’horloge confirma à Yeva qu’Oksana et Ineska ne devraient pas tarder à arriver. Le salon était prêt à les recevoir, et elle devinait à l’odeur que Nastya avait déjà mis le thé à chauffer. À quand remontait leur premier rendez-vous de ce type? Une éternité, semblait-il. Elles étaient trois personnes tellement différentes à l’époque.

HRP:

Info HRP:

Prendre la voiture maintenant que ces véhicules étaient tellement communs que même la populace générale pouvait s'en procurer était fortement déconseillé pour les petits déplacements dans un métropole comme Moscou. Cependant, Oksana refusait encore et toujours de prendre le métro, même si un arrêt se trouvait non loin de l'hôtel de Yeva. C'était une question de principe. De ce fait, la veuve arriva 'légèrement' en retard au rendez-vous. Rien de bien grave. Yeva et Ineska devraient déjà être habituées à sa manie d'apparaître 'fashionably late'.

Ineska à 68 ans (pour que je n'oublie pas moi-même) :

Au vent les voitures et le métro ! Ineska préférait toujours flâner dans Moscou à cheval mais même si la monte n'était plus possible à son âge, une calèche à toit ouvert restait un moyen de transport confortable. La plus-vraiment-blonde arriva pour sa part à heure tapante, un panier de croissants venus de France sous le bras.

On ne se refaisait pas : ni l’excentrique moyen de locomotion d’Ineska, ni le retard d’Oksana ne surprirent Yeva ou ses voisins. Elle vit Nastya lorgner sur les viennoiseries, et se promit d’en sauver une pour la jeune fille. « Te méfierais-tu de la cuisine d’Irina ? Elle pourrait mal le prendre », taquina-t-elle sa cousine. Mais le contenu du pannier fut bien vite disposé sur un plateau qui rejoignit les petits fours déjà présents au salon.

HRP:

Oksana dût attendre beaucoup trop longtemps avant que quelqu'un vienne l'aider à descendre de la voiture si on lui demandait son avis. Et si personne lui demanderait son avis, elle serait certaine de quand même le faire savoir. Une fois à l'entrée, elle tendit son chapeau, ses gants et sa veste à quelqu'un qui se dépêcha de les réceptionner et fit ligne droite vers le salon.

Mon Dieu, Yeva. Ton personnel a besoin de rééducation.

"Le jour où tu arriveras à nous dégoter un chef français, nous en reparlerons." Ineska restait très à cheval -façon de dire- sur les coutumes de la métropole depuis ses voyages. "Comme à chaque fois ma chère Sana" reprit-elle plus haut à l'intention d'Oksana, confortablement posée contre l'accoudoir d'un canapé, les jambes repliées comme si elle montait en amazone -ce qu'elle avait appris à faire plus jeune, uniquement encore pour contredire son paternel obtus- et retirant délicatement ses gants en dentelle. "Pour quel sujet cette fois ?"

Elles s’étaient décidément donné le mot pour être peu charitables. « Un chef français serait bien incapable de préparer un medovik correct. Et il me semble que la ponctualité est une vertu inculquée par toute éducation qui se respecte. » Elle avait le ton innocent de l’ingénue qui ne pense pas à mal, un ton qui lui avait été bien utile au cours de sa vie, mais qui ne bernerait probablement pas ses deux amies de longue date.

J'aurais pu être beaucoup plus ponctuelle si l'on ne m'avait pas fait poireauter dans le taxi pendant une dizaine de minutes. Le chauffeur a dû klaxonner deux fois ! Sur son insistance... mais ça Yeva n'était pas obligé de savoir. Elle se posa dans un fauteuil avec un soupire. Alors, qu'est-ce que j'ai raté ? Quelles sont les nouvelles ?

"Tu tombes souvent sur des taxis peu serviables, quel manque de chance" la plaignit Ineska mais le sourire en coin voulait tout dire : Oksana arrivait toujours en retard, quoiqu'il arrive. "Pourquoi se limiter à un seul cuisinier dans ce cas ? Et sinon non, nous n'avons pas commencé les festivités avant d'être toutes trois présentes."

La mauvaise foi d’Oksana était à la hauteur de son absence de ponctualité, mais on ne la referait pas. Ce n’était pas pour rien que Yeva n’avait pas attendu sa présence pour faire servir les sucreries qui ornaient la table basse. « Deux cuisiniers ? Ineska, on parle d'une maisonnée de deux personnes, tout au plus une vingtaine quand la famille entière est rassemblée, pas de la cour impériale. »

La remarque de Yeva fait rire Oksana. Mais Inessa se considère la Marie Antoinette de notre siècle. Dis-nous un peu, combien de membres font parties de ton personnel ? Cela faisait des années qu'Oksana ne vivait plus dans le luxe des temps anciens. Son fils possédait désormais les habitations où elle avait passé sa jeunesse et elle-même avait déménagé dans un appartement financé par ce dernier. Un grand appartement, mais quand même ! Elle avait de quoi jalouser Ineska.

Elle fit mine de compter sur ses doigts, les yeux rivés au plafond. "Les deux cuisiniers, même si l'un est plus un majordome qui se débrouille extrêmement bien dans le domaine, notre jardinier, une femme de ménage, ma domestique personnelle (toujours une jeunette à qui elle faisait l'éducation, prétextant cette fois maintenir sa mémoire à flot en récitant ses vieilles leçons), et un garçon d'écurie depuis que mes fils sont partis. Notre nourrisse nous a quitté depuis son mariage." Après une pause, elle termina par "je pense avoir fait le tour".

« Marie-Antoinette aurait sans doute donné cher pour atteindre notre vieillesse », commenta Yeva, qui ne souhaitait pareille mort à personne. Oui, il faut croire qu’elle avait toujours le chic pour plomber l’ambiance. « Mais ravie de voir ta maisonnée si bien remplie, chère cousine. » Pour sa part, Yeva se situait entre les deux autres femmes : si elle et son mari habitaient toujours la maison de leur jeunesse, celle-ci abritait toutefois un personnel bien plus réduit que la maison d’Ineska.

En parlant de maisons bien remplies... vous avez entendu que la fille de Yuliya Nikitina a encore annoncé une grossesse ? Ca va être son septième gosse ! Vu le trauma de son premier accouchement Oksana était bien contente d'avoir arrêté après son fils. La grossesse était une horreur.

"Un de plus et elle aura le double de moi" ria Ineska. Quatre enfants, ce n'était pas prévu non plus pour sa part. "Oh d'ailleurs, je devais vous l'annoncer : mon second fils compte enfin se fiancer ! Je désespérais autrefois qu'Oleg ose parler à cette fille d'écurie et maintenant il va l'épouser." Elle eut tout de même un soupire.

« Ravie d’entendre qu’elle est heureuse en ménage », fut la seule réponse de Yeva à l’annonce de l’enfant en arrivage. Non sans un sourire en coin face à l’horreur on ne peut plus évidente d’Oksana. Il faut dire qu’elle avait de quoi être traumatisée par l’idée d’être enceinte. Son sourire s’élargit quand Ineska annonça les fiançailles prochaines d’Oleg. « Félicitations au jeune couple ! »

Pourquoi ce soupire ? Devait-elle souligner l'ironie dans l'histoire d'une Ineska qui soupira pour les histoires d'amour de son fils ? Oksana était peut-être plus vieille mature mais elle se rappelait très bien les années rebelles de la matriarche.

"C'est toujours un coup au cœur quand tes enfants suivent leur propre voie. Il viendra moins me voir, aura d'autres projets.... Et qui va s'occuper des chevaux pendant ce temps ??" Les années avaient quelque peu modifié le sens des priorités d'Ineska. Perle lui manquait encore énormément même si elle avait pu perpétuer sa lignée.

« Il vit sa vie, Ineska. Je me rappelle d’un temps où tu désespérais de pouvoir faire de même », railla gentiment Yeva. « Et il épouse une fille d’écurie, je doute qu’ils délaisseront les chevaux. » Les deux jeunes futurs époux avaient l'amour des chevaux dans le sang, après tout.