Nano. RolePlay

Le VAB s'avançait le long de la voie de chemin de fer, direction Trondheim. Manque d'entretien et intempéries obligent, le temps avait défoncé les routes au delà de toute rédemption. Avec leur espace dégagé et leur surface recouverte de ballast, les lignes ferroviaires offraient la seule alternative confortable pour les véhicules roulants.

En deux ans, le paysage norvégien avait bien changé. Les villes et, plus encore, les espaces extra-urbains. Or, s'ils voulaient escalader les collines escarpées jusqu'à la station de diffusion radiologique au nord de Vannstad, avec tout le matériel et les hommes de l'unité Reco-1, il faudrait trouver un itinéraire optimisé.

Et puis, c'était une opportunité en or pour mettre à jour leurs connaissances quant à leur propre pays. Pour l'heure, un drone était en tête du convoi, un demi-kilomètre plus loin, mais lorsqu'ils allaient prendre de la hauteur, les vents ne permettraient plus son utilisation.

"C'est pourquoi on vous a proposée de faire partie de cette expédition."

Seifur jeta un œil à son dossier en papier recyclé.

"Hum... Dois-je vous appeler Dina ou Ina ? Mme Johansen, peut-être ?"

Plutôt que de la regarder, il tendit son oreille vers elle, à cause du bruit ambiant.

"Ina, c'est le plus court." répondit la susnommée. "Et elle, c'est Eyra ou chien si tu préfères." La jeune femme de petite taille désignait un shiba inu femelle tout aussi compacte. "Ton nom est Seifur, c'est ça ?"
Pas le temps pour les politesses, on parle simple, concis et on tend l'oreille aux alentours. Ce n'était pas la première mission d'Ina, loin de là mais la boîte de conserve blindée où ils étaient ne lui plaisait pas. Ils n'avaient aucune mobilité.

En entendant la réponse, Seifur hocha de la tête, d'un air entendu. Il répéta ensuite le nom de la chienne - "Eyra, un beau nom pour une belle bête." - et sourit en regardant l'animal, avant de se redresser.

"C'est ça." Confirma-t-il, avant de présenter les membres de l'unité, au nombre de cinq, sans compter les deux à l'avant. Neuf personnes, en tout.

"On ne sera pas de trop pour transporter tout ça." Dit-il en posant son pied sur les lourds sacs qui reposaient au milieu.

Ina espérait de tout cœur que leur mission apporterait de nouveaux éléments à la reconquête de leur territoire. C'était pour ça qu'elle avait accepter de faire une mission qui sortait autant de son ordinaire. Elle salua d'un coup de tête les cinq autres militaires avant de scruter les alentours. Au loin, on pouvait voir des bêtes, peut-être des animaux infectés. Heureusement, ceux-ci les ignoraient. Peut-être ignoraient-ils que de la chair fraîche se trouvait à l'intérieur.

Seifur se pencha vers l'homme situé à sa gauche, qui manipulait une tablette tactile blindée.

"Rapport ?
- RAS. Pas de zombies en vue pour le moment. Les infrarouges révèlent quelques animaux sauvages dans la forêt, en bordure. Des traces d'habitations non renseignées dans le piedmont.
- Très bien."

Se penchant une nouvelle fois, il poussa un des sacs vers Ina.

"Le sergent m'a autorisé à te prêter du matériel. Un viseur, avec laser métrique, et d'autres instruments."

Ina Johansen se défendait bien avec son vieil arc de compétition mais… Qui cracherait sur une arme militaire par les temps qui couraient ?
"Je ne sais pas l'utiliser." confia-t-elle, soucieuse de conserver ses habitudes et son efficacité. Quelqu'un de très bon à la fronde valait mieux qu'un guignol armé jusqu'aux dents.

Il prit l'arme et en déséquipa les accessoires.

"Pas grave. Fais avec ce que tu maîtrises. Perso, j'ignore comment on peut se sentir confiant en attaquant avec des flèche des cibles dont le cerveaux ne peut pas faire d'hémorragie, mais mon cousin m'a montré que c'était possible, alors banco."

Il tendit le viseur à Ina.

"Garde au moins ça, ça te donnera les distances. Pratique, si tu veux cartographier."

Ina récupéra le viseur de haute qualité. Ses yeux noirs brillèrent.
"Merci. Pour l'arc, il faut viser les articulations."
Si tuer était impossible, immobiliser était bien plus raisonnable et utile. Les armes à feu avaient aussi le gros inconvénient de rameuter plus de zombies. S'ils apprenaient à travailler ensemble, ils pourraient accomplir de grandes choses. Ina braqua aussitôt le viseur sur les ruines alentours à la recherche de survivants, inoffensifs ou non.

Du sac réservé à Ina, il sortit quelques objets qu'il lui montra.

"Ca c'est une balise, au cas où l'on soit séparés. Un fumigène s'il y a vraiment urgence - je veux parler d'une situation désespérée. Et, bien sûr, une trousse de premier secours étanche. Sortez couverts."

Trois coups résonnèrent depuis le compartiment pilote et tout le monde se sentit attiré sur le côté. On amorçait une montée.

"C'est pour bientôt. On est sortis de la voie ferrée."

Ina délaissa son observation pour ranger les éléments dans son sac à dos, hormis la trousse de secours qu'elle attacha à sa chienne. L'animal se laissa faire, restant très sage et très silencieuse. C'était la première règle en cas d'apocalypse. La métisse nipo-norvégienne prit une profonde inspiration. La mission commençait vraiment et une seule erreur pouvait leur coûter la vie !

Ils roulèrent encore quelques minutes, mais à moindre vitesse.

"Caporal, ça commence à venter et il y a beaucoup d'arbres. Permission de rapatrier le drone.
- Accordée."
Aussitôt dit, aussitôt fait, on entendit le petit engin se loger dans une niche, sur le toit du VAB.

Ce dernier s'arrêta et la passerelle arrière se baissa. Tout le monde sortit pour observer les environs.

Ina atterrit tout en douceur sur le sol sauvage, la chienne à ses côtés. Elle scruta les alentours, d'abord avec ses propres yeux, puis à travers la lunette. Bien sûr que les appareils n'avaient détecté aucune menace immédiate mais l'éclaireuse voulait juger par elle-même. Son cœur se serra : il y avait de la fumée sur le chemin de la station radio. Ce n'était qu'un tremblement de l'air mais pour Ina il y avait peu de doutes possibles.
"Seifur, là-bas."

Avec son arme, il observa la direction que lui indiqua Ina.

Il demanda au pilote du drone :
"Les habitations, quel azimut ?
- Cinq degrés nord.
- Ce doit être ça. C'est sur notre chemin. Partons en quête de vie, ou pourra peut-être interroger les locaux. Okay tout le monde, en avant ! On sécurise la zone, mais sans hostilité : présence civile probable."

Sur ce, il répartit les groupes. Un caché dans les bois, une arrière-garde, et lui avec Ina et un autre pour ouvrir.

D'habitude, Ina aurait contourné les habitations et observer un moment tout ce qu'elle aurait pu voir sans se faire repérer mais passer inaperçu avec des géants comme ses co-équipiers ? Seifur faisait presque deux têtes de plus qu'elle. L'inconnu était devenu très dangereux, surtout les autres survivants. Ils étaient capables de vous planter un couteau dans le dos pour s'accaparer toutes vos possessions ou juste pour être tranquille. Ils devaient être extrèmement prudents.

Seifur alluma son oreillette et communiqua avec ses hommes à voix basse. Le groupe caché s'arrêta à l'abord du village - car s'en était un - pour observer, et continua de le contourner, pour changer d'angle.

"Aucun signe de vie humaine en vue. Juste quelques poulets en liberté.
- Et la fumée ?
- Légère. Elle sort d'une cheminée. Rien aux fenêtres.
- Reçu."

Ils arrivèrent aux portes du village. Un panache s'élevait effectivement d'une maison. Une brouette était renversée.

Visiblement, les villageois avaient fui. On ne survivait pas dans ce monde dans un peu de paranoïa. Mais pourquoi précisément ? Ina observa la brouette, essayant d'estimer si la chute avait eu lieu tout récemment ou pas. Le feu pouvait avoir été abandonné il y a plusieurs heures. À ses côtés, Eyra fronçait du museau. De la terre avait été retournée, des débris se devinaient dans l'herbe. C'étaient des traces de lutte.
"Ils ne se sont pas enfuis, ils ont été embarqués !"

A ces mots, Seifur hocha gravement la tête, les yeux rivés sur les traces de lutte.

"Difficile de compter le nombre de personnes impliquées, ça part dans tous les sens."

Il expira longuement.

"J'ai cru que c'était nous. Qu'ils avaient fui en entendant le VAB. Peut-être..."

Mais il n'eut pas le loisir de terminer sa phrase qu'un bruit violent retentit dans la cabane à la cheminée.

Inutile de se précipiter à l'intérieur… Pour le coup, Ina n'était pas la plus qualifiée pour intervenir la première. Il aurait fallu qu'elle soit mieux armée. Elle laissa à Seifur l'initiative. Elle poussa Eyra en avant. Le militaire aurait besoin du flair d'un chien.

Malgré le vent qui soufflait, le relief rendait bien les sons sur la distance. Aussi Seifur augmenta-t-il l'anéchoïsme de son suppresseur à membrane. Il fit signe à ses hommes de se placer aux différents points stratégiques de la cabane, peu nombreux.

La chienne semblait bien flairer ce qu'il y avait à l'intérieur.
"Zombies." Chuchota un des soldats. Et, effectivement, les bruits étaient caractéristiques. Erratiques.

"Go !" Fit-il, avant d'enfoncer la porte du pieds, paré.

Ils trouvèrent une silhouette gris comme la mort, aux yeux caves, la tête en sang et des traces de brûlures sur les bras et les jambes. La pauvre chose rampait vers les soldats comme en recherche d'aide... ou de cerveaux à manger. Son ancienne humanité se devinait sur son visage. Heureusement ou malheureusement pour Ina, ce n'était pas la première fois qu'elle en témoignait. Lui trancher la gorge serait facile. L'interroger ne mènerait à rien.

Il réagit au quart de tour. Un clin d'œil après l'ouverture de la porte, il tira et l'arme émit un claquement sec suivit du son mat et poisseux du ricochet de la balle gyroscopique contre la parois interne du crâne, réduisant le cerveau en charpie. En une seconde, tout était fini et les soldats balayaient la grande pièce d'un regard vif avant de progresser. Après quelques 'RAS' prononcés de vive voix, l'atmosphère se détendit légèrement.

"Il y a quelque chose. Un message."

Il n'y avait plus rien à faire pour cette pauvre hère mais Ina sentit son cœur au plus mal. Elle avait du mal à s'y habituer. Elle savait pertinemment qu'il n'y avait pas d'autres choix mais elle ressentit le besoin d'enterrer le corps. Ce qui était hypocrite, elle le savait, bon nombre de zombies auraient dû être enterrés. Perdue dans ses pensées - une rare erreur de sa part - elle découvrit sur le tard ce fameux message que désigna un soldat.

Sur le mur le plus dégagé de la cuisine-salon, au dessus d'un plan de travail sur lequel trônait une bombe de peinture, était écrit un message en lettres orange fluo :

LA NUIT VIENNENT LES VAMPIRES.

"Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?"

Des originaux qui s'en prennent aux autres groupes de survivants…
"Nous ferions mieux de sortir !" lâcha Ina en vérifiant une énième fois les alentours.
Ils ne se seraient pas donné la peine d'écrire ça sur un mur que personne ne verrait. Et elle pensait fermement qu'ils trouveraient davantage d'indices à l'extérieur sans risquer d'être pris au piège. Fabriquer un cocktail Molotov était facile.

"Oui, tu as raison." Fut tout ce que Seifur répondit.

Dans les minutes qui suivirent, il retournèrent le zombie mort avec une pelle et les pieds pour photographier correctement son visage et le collier qu'il portait. Puis ils fouillèrent le village en quête d'indices. Enfin, ils se regroupèrent.

"Rien de mon côté. Vous avez trouvé quelque chose d'intéressant ?" Demanda Seifur à tout le monde, sauf bien sûr au détachement qui surveillait les bois, caché dans les fourrées.