Le chat guettait sa proie d'un œil attentif. L'oiseau noir s'était posé sur le rebord d'une balustrade bordée de plantes et se lissait les plumes, laissant là une rémige sur le point de tomber. Il s'apprêtait à reprendre son vol quand le félin attaqua. Le combat fut éphémère. Un craquement. Les animaux roulèrent sur le balcon avant de passer par dessus bord.

Le chat, premier arrivé au sol, attendit patiemment que son petit déjeuner daigne atterrir. Le vol de l'oiseau était chaotique, mais irrémédiablement descendant. Alors une fois posé, il se redressa sur ses pattes de toute sa hauteur, et ouvrit les ailes en grand - malgré l'angle inquiétant que l'une d'elle présentait. Il se précipita sur le chat en courant, poussant un cri d'alarme, accompagné de sons incongrus et déstabilisants. Le chat se ramassa en arrière, feulant, soudainement incertain de la nature de ce qui lui faisait face. L'oiseau, de taille respectable, était devenu agressif, n'ayant plus rien d'une proie inoffensive. Son adversaire reculait peu à peu. Alors il asséna le coup de grâce : de son bec sortit un cri de faucon. Le chat détala.

L'oiseau resta, pantelant. Les yeux gris observaient les alentours, inquiets. Il essaya de s'envoler, mais dût renoncer. Son membre blessé ne pouvait plus le porter. Alors il sautilla, traînant son aile brisée sur les pavés. Il s'arrêta au pied d'un arbre et trouva refuge entre ses racines. Bec ouvert, tremblant.

Le petit matin se levait mais, étrangement, Micha n'entendait aucun oiseau gazouiller sur son balcon végétaliser. A la réflexion, un bruit sourd avait attiré son attention un peu plus tôt. Alors, quand il vit la queue d'un chat disparaître dans un coin, il comprit qu'un drame s'était tramé. Le prêtre ouvrit donc l'oeil sur le trajet vers l'église et détourna ses pas pour suivre les plumes noires parsemées sur le sol. Il n'y avait personne dans les environs alors que le soleil perçait à peine. Quelle ne fut pas son horreur en reconnaissant vaguement l'oiseau atterré !

Un homme seul avançait dans la rue. L'oiseau se recroquevilla un peu plus sous les racines. Il approchait. L'animal feinta la mort mais c'était déjà peine perdue : l'homme l'avait repéré et venait directement sur lui. Piégé, l'oiseau tenta encore de reculer dans un espace trop petit, sur le point de céder à la panique, quand il reconnut un visage familier. L'oiseau ouvrit le bec, mais aucun son n'en sortit. Il se pelotonna au fond de son trou.

Son coeur se serra encore plus quand il ne put plus se voiler la face : l'oiseau qui gisait là était le drongo zoothrope qu'il avait croisé quelques semaines plus tôt lors de sa chasse aux champignons. Le prêtre vérifia les alentours, mais les rues étaient encore désertes, lui-même étant en avance comme à son habitude. Il se pencha vers l'oiseau. "Bonjour, mon ami. Me reconnais-tu ? Je dois vite t'amener en sécurité. Puis-je ?" lui dit-il très doucement.

L'oiseau claqua du bec, trop faiblement pour que cela constitue un avertissement. Passablement effrayé, il ne bougeait plus. Son aile était repliée sous lui depuis qu'il s'était démené pour se cacher, et la douleur gardait ses yeux mi-clos. Il émit un son plaintif à la voix du prêtre.

"Tout va bien aller." lui chuchota tout aussi doucement Micha en le prenant délicatement dans ses bras. Il monta vivement les marches vers son appartement, prenant garde à ne pas agiter l'oiseau plus que nécessaire, et le déposa sur une couverture près de la chaudière. Le prêtre s'affaira ensuite devant sa bibliothèque, cherchant son livre naturaliste. Il n'avait rien sur les soins vétérinaires mais avait dû aider, plusieurs fois, à soigner le bras ou la jambe cassé.e des gamins de son ancienne paroisse. Il devait simplement se renseigner sur l'anatomie d'un oiseau.

Docile entre les mains du prêtre, l'oiseau se laissa transporter jusque sur la couverture. Il étendit les ailes devant le poêle, étirant ses membres douloureux et trouvant une position antalgique pour la fracture qui déformait son aile. Sorti de la rue, il paraissait enfin se détendre, et hulula doucement à la manière du hibou, avant de fermer les yeux.

Micha déposa le livre d'histoire naturelle à côté du drongo et revint avec des bandages et un désinfectant. Ses mains étaient douces et aussi expertes que possible, compte tenu du fait qu'il n'avait jamais appliqué ces soins à un oiseau. Le drongo eut bientôt l'aile délicatement enveloppée et serrée contre lui et Micha lui proposa une couverture douce pour s'installer confortablement au chaud. "Je dois aller tenir la messe, mon ami. Reste tranquille en attendant... j'essaierai de te trouver à manger en revenant." Mais s'il devait en croire son livre, le drongo mangeait majoritairement des insectes... la tâche s'avérait ardue.

Les manipulations de l'homme étaient réfléchies et mesurées. L'oiseau lui manifestait toute confiance, mais son œil scruta chacune d'elles, soucieux et attentif. Il l'aida même comme il le put, arrachant les plumes superflues et positionnant son aile pour la fixation de l'atèle.

L'opération terminée, l'oiseau se laissa reposer dans le doux cocon préparé pour lui. Il pépia lors de l'annonce du prêtre, valant autant salut que remerciement. Il ferma les yeux. Son bienfaiteur pouvait partir tranquille. Si un esprit humain s'ennuyait vite d'une telle immobilité, le corps de l'oiseau avait trop besoin de repos pour chercher une autre occupation.

La messe se déroula comme les autres jours. Micha ne laissa pas transparaître son inquiétude et l'occupation de son esprit à la question de la nourriture pour drongo. Il revint pourtant les mains vides. "Récupérer des insectes en pleine journée m'est difficile. N'y a-t-il rien d'autre que tu puisses manger, mon ami ?" Il n'osait pas lui demander de se retransformer. Le zoothrope était resté sous sa forme animale après tout, et il ne voulait pas forcer son choix.

La voix du prêtre dissipa en partie la torpeur dans laquelle était plongé l'animal. Il releva un peu la tête et ses yeux ouverts signifièrent à l'homme qu'il avait entendu et compris la question. Mais il ne réagit pas tout de suite, et se contenta de lever la tête, ouvrant le bec sur une langue noire et sèche, accompagnant un petit cri plaintif.

Micha pencha la tête sur le côté, rappelant quelque peu le harfang, puis ses yeux s'illuminèrent. "Tu as soif, je reviens." Il se dirigea vers la cuisine pour prendre un petit bol dans lequel il fit couler de l'eau et revint le poser devant l'oiseau. "Je ne peux pas rester longtemps, juste le temps de manger." lui indiqua-t-il doucement. "Mais je reviendrais tôt ce soir." Habituellement, il s'attardait dans l'église qui avait encore besoin de travaux.

Une petite trille signala au prêtre qu'il avait vu juste, et l'oiseau plongea le bec dans le bol à peine posé. Il se désaltéra à petites goulées, buvant tout son saoul. Après quoi il s'étira ses membres ankylosés, les uns après les autres, attentif à la pose de son aile. Sa tête était tournée vers l'homme, écoutant avec attention les paroles qui lui était adressées. Sa tête opina lentement tandis qu'il se blottissait à nouveau dans la chaleur du tissu.

Il sourit d'un air plus rassuré en voyant l'énergie de l'oiseau. "Ton aile te fait-elle mal ? Je peux voir de te faire une recette à base de plantes pour la douleur. Il me faudra juste te peser." La petite balance de la cuisine ferait l'affaire pour ça. Micha adressa un remerciement silencieux à la grand-mère qui lui avait appris ces recettes naturelles lors de sa mission en campagne.

Le prêtre était bien placé pour le savoir, un animal, et particulièrement un oiseau, ne montre pas sa douleur. Question de survie. Mais le drongo ébouriffé émit un petit bruit chuintant, qui valait certainement confirmation. Il but encore un peu, attendant de voir s'approcher les mains de l'homme.

Prenant la réponse du drongo comme une affirmation, Micha retourna en cuisine pour mettre sur le feu une casserole d'eau dans laquelle il mit les plantes de la préparation médicale. Il revint vers l'oiseau en souffletant sur un bol pour le refroidir. "Attention, c'est encore chaud." dit-il en le posant devant l'oiseau. "Faisons ta pesée en attendant." Il posa à côté de l'oiseau une petite balance de cuisine et tendit les mains d'un air hésitant. "Puis-je ?"

Dans l'expectative, l'oiseau attendit que l'homme approche pour se remettre sur ses pattes. La balance était trop loin pour qu'il puisse l'atteindre avec son aile blessée, mais il se plaça dans une position où Micha ne craindrait pas de le blesser. Immobile, il s'était fait boule de plumes prête à de loger dans ses mains.

Avec une extrême douceur, et en prenant garde de ne pas malmener l'aile blessée, Micha attrapa l'oiseau entre ses paumes et le déposa sur la balance, sur laquelle il avait préalablement placé et pesé une couverture, préférant éviter à son protégé la morsure du froid métallique. "84 gr. Un petit poids plume." La taquinerie avait été dite d'un ton doux et avec un sourire. "Je vais préparer la tisane en fonction." Le prêtre retourna dans la cuisine avec la balance, reposant au passage l'oiseau près de la source de chaleur.

Plutôt petit, l'oiseau réagit à la plaisanterie d'un léger et bref pépiement. Il fit mine de picorer la main de Micha en réponse, mais n'étant pas libre de ses mouvements il n'insista pas. De retour dans son nid, il émit un petit roucoulement et s'ébroua juste assez pour garder les plumes ébouriffées. Le temps que le prêtre revienne, il avait fermé les yeux.

Avec un doux sourire, Micha rabattit un pan de la couverture sur le drongo pour le garder au chaud et partit s'occuper de son office, oubliant qu'affairé à ses soins, il n'avait pas mangé. Quand il revint, le soleil était déjà couché et les commerçants avaient fermé boutique. "Bonsoir, mon ami." dit-il d'une voix basse en s'approchant de l'oiseau. "Es-tu réveillé ?"

Entre le départ et le retour du prêtre, l'oiseau n'avait pas bougé d'une plume. Il avait toutefois les yeux ouverts, et remua légèrement lorsque Micha s'approcha. Il roucoula légèrement pour signaler sa présence, un son à peine audible.

Le prêtre s'affaira chez lui pour monter la chaleur de la chaudière et fermer volets et rideaux. Une bouilloire avec du riz fut mise au feu puis il retourna vers l'oiseau. "Comment te sens-tu ? Je crains de ne pas avoir réussi à trouver des insectes mais je peux te refaire de la tisane. Et j'ai des fruits. Cela irait-il ?"

Le bol posé au côté de l'oiseau était vide. Sa soif étanchée, il s'était montré assidu pour boire la tisane-médicament. Le rappel du prêtre le fit se redresser. Difficile d'interpréter s'il répondait à sa proposition, mais bec entrouvert et yeux clos, il paraissait vouloir se manifester autant que se cacher, se dandinant sur ses pattes incertaines, tassant petit à petit la couverture dans le mouvement.

Micha devait avouer son impuissance : il ne savait décrypter le dernier message de l'oiseau. Et même s'il se transformait, il doutait d'être capable de l'entendre plus clairement. Il n'était pas suffisamment harfang pour comprendre le langage des oiseaux... "Je suis désolé, mon ami. Je ne comprends pas." dit-il doucement, la voix chagrinée.

L'oiseau piétinait encore, de plus en plus mal à l'aise. Ses pattes finissaient par agripper la couverture, menaçant de le faire trébucher tôt ou tard. Répondant à Micha il tendit le cou vers la salle de bain. Il siffla.

Isssiii.