Rappel du premier message :



Trois des six pattes du Sarien vinrent s’écraser entre ses omoplates, envoyant une onde douloureuse se répercuter dans chacune des vertèbres de Torn. Il hoqueta de surprise, recrachant à moitié la gorgée d'alcool frelaté qui retourna par miracle dans son verre, tandis que son compagnon éclusait son sixième godet. Le colosse kératineux démontrait fréquemment son enthousiasme par des tapes répétées, pas toujours sollicités.

"C'est Josh qui va être content de nous revoir avec ce qu'on lui ramène. T'es pas pressé de rentrer, toi ?"

Pas trop. Torn comptait bien profiter de cette escale loin de la station du Nabot et à la croisée de toutes les routes stellaires pour mettre les voiles avant d'être découvert pour ce qu'il était. Une taupe de l'AAG. Un animal en voie d'extinction. Non pas que l'Alliance ne mette pas des sommes considérables sur la table dans des programmes de préservation... Mais leur durée de vie une fois identifiées ? Pas super étendue.

L'indic' se leva donc, plantant là le Sarien, avec un clin d’œil autant dû à la douleur qui pulsait dans son dos qu'à son envie de sauver les apparences.

"Je te laisse, faut que j'aille me trouver un peu de carburant pour le trajet."

Il tapota sa poche droite d'un air entendu avant de faire volte-face et de traverser l'atmosphère embrumée de la cantina à grandes enjambées.

Déglutition difficile. Il rétorqua, ironisant juste assez peu pour ne pas se faire découper : "Je ne suis qu'un misérable humain, voyons. Les Sariens ne chercheront que des morceaux de carapaces, mes propres restes n'auraient même pas le droit à un regard." Il s'épongea le front, ramenant une main couverte de sang devant son visage. Il désigna ses plaies. "J'ai dû laisser plus que mon quota de globules sur le tableau de bord, de toute façon."

Vacuum ricana en se redressant, son ombre géante projetant son impérieuse présence sur cet humain insignifiant, mais suffisamment malin pour le reconnaître. "C'est une bonne initiative de ta part, partenaire." Elle se redressa en le jaugeant énigmatiquement du regard, sa huppe dressée en demi-couronne derrière sa tête. "Qu'il soit lavé avant de finir mon rejoindre dans mon bureau." ordonna-t-elle en se détournement élégamment pour quitter la soute.

Un Shreek massif, au plumage fauve et noir, s'avança alors vers Torn pour le remettre sans ménagement debout, une grimace de dégoût plissant son bec arqué quand du sang humain tâcha ses griffes et son duvet. Vacuum prit note de récompenser son subalterne pour son sang-froid. Un autre aurait couiné dans son dégoût et se serait déconcentré, lui gardait ses yeux rivés sur leur passager ; au moindre signe de tromperie, elle savait qu'il serait égorgé dans la seconde.

HRP:

Il fut poussé dans un couloir, le sol renvoyait le cliquetis des serres qui lui emboitaient le pas. L'emplumé au large bec qui le surveillait semblait dégoûté par ses fluides, aussi Torn prit-il la peine de se secouer comme un chien mouillé, se ménageant un peu d'espace. On avait déjà posé assez de pattes griffues sur son blouson pour la prochaine décennie. Conduit jusqu'à un étrange réduit, il put s'asperger le visage d'une eau glacée. Le busard lui laissa fort peu d'intimité durant sa toilette, jusqu'à ce qu'une œillade langoureuse et appuyée le décide à regarder ailleurs.

Depuis son bureau, Vacuum observait toute la scène par caméra interposée. Son subalterne n'aurait pas de récompense, finalement, car il avait fini par se déconcentrer. Cet humain ne payait peut-être pas de mine mais il avait plus d'un tour dans son sac ; elle ne devrait pas le sous-estimer, pas une seule seconde. Lui laisser penser le contraire, certainement, pour que l'erreur vienne de lui, et non d'elle. Vacuum avait peut-être le droit de se tromper, à l'inverse de la Matriarche Kishareera, mais elle ne rechercherait pas volontairement l'erreur. Un sourire carnassier trancha son bec alors qu'elle attendait son partenaire.

Le piaf refusait catégoriquement de croiser son regard, à présent. Insensible à son charme légendaire ? "Tu n'es pas le premier type masqué qui me regarde prendre une douche, tu sais ?" Un revers sur le coin de la mâchoire fit comprendre à l'indic' qu'il avait proféré la blague de trop. Conduit sans douceur jusqu'à Vacuum, il pénétra dans le bureau en se massant le menton. "Ah ! Partenaire ! Je mettrai cinq étoiles pour la déco. Pas de doute, l'esthétique spartiate, ça claque. Mais je trouve le personnel un chouia trop tactile."

Vacuum s'adossa plus confortablement sur sa chaise qui laissait la place à ses rectrices de s'étaler dans toute leur splendeur. Les griffes croisées sur ses genoux, elle observait Torn d'un air de prédateur ricanant. "Qu'il est amusant de voir que ton sens de la survie semble à la fois inexistant et profond." Il était évident qu'elle avait observé toute la scène. "Passons aux choses sérieuses : je veux des informations compromettantes sur Josh, du genre à le mettre en mal avec la CC. Tu m'as dit avoir cette denrée que je convoite, partenaire, j'espère que tu ne m'as menti... Pour toi."

Lui ? Un menteur ? C'était on ne peut plus exact, mais il fit rouler ses yeux et les ouvrit en grand, pour la forme. "Josh est quelqu'un de parano..." commença-t-il, tout en rabattant ses cheveux détrempés vers l'arrière. "Ses trafics ne passent pas exactement inaperçus, mais il prend soin de déléguer à d'autres toutes les tâches qui pourraient l'incriminer auprès de la Confédération." Il se pencha vers Vacuum, adoptant un air de conspirateur. "Mais à trop vouloir couvrir son derrière osseux, il a malencontreusement intercepté des informations qui valent plus cher que sa propre tête."

Elle ne fit qu'hausser sa huppe de quelques centimètres, équivalent à un sourcil arqué chez les sans-plumes. "Quelle est la nature de ces informations ?" Même si elles ne lui permettaient pas de faire tomber Josh dans un abîme de tourments menant à sa mort, toutes informations pouvaient se vendre au prix fort, surtout celles qui valaient leur pesant de crédits. Le petit jeu de Torn commençait cependant à la lasser. S'il ne déballait pas rapidement les cartes mêmes qui avaient nécessité son sauvetage, il allait finir par perdre la partie. En s'époumonant vainement dans l'étreinte du Vide.

La Shreek le toisait toujours, aussi s’empressa-t-il de reprendre, son débit imperceptiblement accéléré par la présence des serres effilées sous le bureau : “Le Nabot a réussi à mettre sur écoute l’un des canaux de communication sécurisés de l’AAG.” Il garda sous silence le rôle qu’il avait joué dans l’affaire. Inutile de tout révéler d'un coup. “À la base, il voulait simplement glaner des renseignements sur les opérations en cours. Mais il a malencontreusement obtenu les plans du Nostromo XI, ainsi que ses coordonnées exactes à l'instant T. C'est le genre d'info qui peut vous fait passer de petit truand à terroriste galactique assez vite."

Ce fut presque imperceptible mais les yeux de Vacuum s'écarquillèrent de surprise devant l'ampleur de la connerie de Josh. Elle pinça du bec, furieuse. Voilà qui n'allait pas arranger les affaires de Kishareera : elle désirait se débarrasser elle-même du Nabot ; voir sa proie volée par l'AAG serait désagréable. Kolirisha ne manquerait pas d'user d'une telle opportunité pour saper son influence sur la Volée qui attendait vengeance pour les insultes liées à la Tragédie. "Josh a dû assurer ses arrières. Tant que l'information n'arrive pas à l'AAG, il sera sauf... Ou alors, ce que tu me dis est périmé." Sa colère faisait luire ses yeux.

Torn se mira dans le reflet de son holo-bracelet. Il avait l'air à peu près aussi en forme qu'un Nemien échoué sur une planète aride, un lendemain de cuite. Il se recentra sur Vacuum lorsque cette dernière osa mettre en doute la fraîcheur de ses informations. Il était temps pour l'indic' de servir une demie-vérité. "Il a mis quelques responsables galonnés dans sa poche. Même la Confédération n'est pas à l'abri des affres de la corruption." Il fronça exagérément le nez. "Entre les amis hauts placés de Josh et ceux qui veulent le voir tomber, il y aura du monde pour assister au débriefing. Ce que je rapporterai là-bas ne dépend que de vous."

Le plan se précisait mais un écueil continuait d'alimenter le feu de sa colère : il nécessitait d'accorder une relative confiance à un vulgaire humain. Quelle idée révoltante ! Heureusement qu'elle agissait sous le couvert de Vacuum, sacrifiable, ce qui lui permettait une plus grande marge de manœuvre. "Et bien, Torn, quelle ambition foireuse peut-on donc prévoir avec les plans du Nostromo XI ?" dit-elle aimablement, l'éclat de l'oeil acéré. Qu'il parle donc et lui donne de quoi le faire tomber en même temps que Vacuum s'il osait la trahir...

Il faillit ne pas se reconnaître lorsqu'elle l'appela par son prénom. Il n'était plus un simple partenaire ? "Il suffit de s'asseoir cinq secondes dans une cantina pour se rendre compte que toute la galaxie ne porte pas le Chancelier dans son cœur..." Il se fit la réflexion que les Shreeks n'avaient peut-être pas un cœur rouge et palpitant comme celui des humains. "Avec un accès à la position de notre vénéré leader, et toutes les failles structurelles potentielles où glisser une bombe... Qui sait ce qu'un dissident déterminé pourrait faire ? Avoir ça sur son disque-dur, c'est se coller une étiquette rebelle sur le front."

"Evidemment, nous sommes d'accord sur ce sujet." Garder son ton aimable lui prenait toute sa bonne volonté : la prenait-elle pour une cruche pour croire qu'elle n'avait pas compris son raisonnement ? Elle n'était pas une pathétique femelle humaine, par le Vide ! Mais son bec souriait alors qu'elle continuait de minauder : "Et qu'as donc prévu Josh le Rebelle ?" Elle se pencha en avant, abaissant son masque gentillet pour dévoiler ses rapaces pensées. "Nous ne le ferons pas tomber avec des suppositions s'il a des alliés dans les hautes sphères. Il faut des preuves pour le mener à l'échafaud."

Non, en effet, ils ne le feraient pas tomber ainsi. Et à vrai dire, c'était tant mieux. Tant mieux pour le blouson malmené de l'indic', et tant mieux pour son intégrité physique de manière générale. "Écoutez..." Il mura ses sentiments véritables derrière un surplus de douceur dans le ton : "Si je vous donne ces informations maintenant, je deviens à peu près aussi utile qu'un frigo sur Phos'il." Factuel. "Vous et moi, nous sommes partenaires. Les partenaires se font confiance. Vous me déposez en vie, et ensuite je vous donne ce que vous voulez. Croyez-moi, vous doubler est la dernière chose que je ferais. J'ai bien assez d'ennemis comme ça."

"Non." Le mot avait été lâché calmement, mais d'une sécheresse à même de cramer les sables surchauffés de Manooine. "Je suis pas une Valeth qui gobe la douceur sucrée des paroles d'autrui." Avec élégance, la Shreek se releva pour tourner autour de sa proie son partenaire qu'elle fixait de ses yeux féroces ; et le cliquetis de ses griffes reprit son ballet hypnotique, contant les murmures de sombres envies. "Mais tout ceci m'a ouvert l'appétit." Elle s'arrêta subitement devant Torn, souriante, son bec luisant sous les néons du vaisseau.

Réfléchir. Ne pas paniquer. Elle bluffait. Elle bluffait ? Elle bluff- Était-ce du sang à la commissure de son bec ? Torn eut un mouvement de recul, se heurta à monsieur gypaète, qui refusait toujours obstinément de se faire aspirer par une faille spatio-temporelle pour le laisser s'échapper. "Vous n'avez pas le bec sucré, c'est évident." Les mots se précipitaient pour quitter ses lèvres. Il abattit sa dernière carte : "Josh est entré en contact avec la rébellion, probablement pour revendre lesdites informations. Je n'ai pas les enregistrements, mais une liste de contacts. Il suffirait que l'un d'eux soit inculpé pour que Josh plonge aussi."

Figée dans une pose attentive, ou rapace en quête de chair fraîche, au choix de l'interprétation, Vacuum resta un moment silencieuse puis un sourire satisfait ourla son bec. "La rébellion, vraiment ? Sacré Josh, quel con. Il ne reste qu'à le broyer sous nos serres." A ces mots, lesdites serres creusèrent des sillons dans le sol en un mouvement instinctif. "Gyp ! Mène notre invité à ses quartiers. Je vais dîner." ordonna-t-elle subitement en retrouvant son ton aimable. Passant à côté de Torn, elle lui tapota la tête. "Et nourris-le... Histoire que je puisse le déchiqueter s'il m'a menti." Elle quitta la pièce sans cesser de sourire.

Le frémissement des plumes sur le sommet de son crâne envoya une onde glacée jusque dans ses cervicales. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il n'était pas mort. Mieux, son crush l'invitait à dîner. Enfin, pour être plus exact, le dénommé Gyp lui intimait l'ordre d'avancer. Ils retraversèrent le vaisseau. Les membres d'équipage croisés en chemin jetaient des regards emplis de mépris à l'humain, qui leur retournait le sourire du bienheureux encore en vie. "C'est une bonne situation, ça, homme de main ?" Quoi, il pouvait bien tenter de faire la conversation, non ?

Arrivée à ses appartements, Vacuum retira son masque en fredonnant d'un air satisfait. Elle alluma deux hologrammes : l'un transmettait en direct Gyp qui roulait des yeux devant les frasques de l'humain et l'autre affichait Rerrarsha. Il n'avait pas l'air heureux. "Oh, mon cher, ne froisse pas tes plumes. Tout est sous contrôle. Josh va tomber sous peu." "Dois-je donc préparer la flotte, Matriarche ?" Un sourire cruel se fit jour sur son bec. "Tout à fait, mon cher." Il se transforma en rire en entendant Gyp répondre vertement à l'humain avant de le balancer dans sa cellule chambre d'invité. "Josh va mourir, bientôt." roucoula-t-elle.

C'était certainement bien payé, mais ça vous laissait à cran. Comment expliquer sinon son humeur perpétuellement... massacrante ? Le malabar fit claquer son bec, et la porte, une fois que les genoux de Torn eurent heurté le sol. Il se releva et devint presque euphorique lorsqu'il constata que la pièce n'était pas un sas que l'on s'apprêtait à ouvrir sur le vide interstellaire. "Je suppose que c'est trop tard pour vous parler de mes allergies alimentaires ?" Pour toute réponse, il reçut un long silence, rompu quelque minutes plus tard par l'ouverture de la porte. Un plateau glissa jusqu'à lui, couvert de nourriture lyophilisée.

"Puis-je changer ma garde, Matriarche ?" L'appel de Gyp était déjà déroutant en lui-même : Rajkëzarkhan n'était pas un oisillon faiblard de coeur. Mais l'humain était particulièrement agaçant, elle voyait le violent désir de meurtre dans les yeux de son subordonné. "Accordé. Laissons-le mariner pendant quelques heures, puis envoie Hzarëljark à l'heurpuscule." Il s'inclina d'un air plus décontracté. "Merci, Matriarche." Quand la porte de la prison la chambre de Torn s'ouvrit à nouveau, Gyp avait laissé place à une Shreek menue aux yeux froids et intelligents. Ils brillaient comme des lunes dans son plumage noir et bleu.

Le plafond parcouru de conduites ondulait. Il avait l'impression de le contempler depuis plusieurs heures déjà, le sommeil rendu impossible par la lumière blafarde des néons et les grondements du vaisseau. L'alcool avait complètement déserté ses vaisseaux à lui. Il détestait la sobriété lorsqu'elle lui était imposée, et il avait eu beau engloutir l'intégralité du plateau, il ne se sentait absolument pas rassasié.
"I need nooiise
Need the buzz of a light
Need the crack of a Gyp..."
Tout à sa fausse dépression, le prisonnier ne remarqua même pas qu'on lui avait ouvert la porte.

Sans ménagement, la Shreek le mit debout pour le pousser devant elle et le mener jusqu'au poste de pilotage de la navette où l'attendait Vacuum. Elle lisait un holopad et ne leva pas les yeux alors que sa subordonnée poussait à nouveau l'humain devant elle. "Une liste ne suffira pas à faire tomber une grande pompe comme Josh." dit-elle joyeusement, son bec ourlait d'un air mauvais. "Nous avons une mission d'espionnage, les enfants ! ~" L'hyperpropulsion du vaisseau cessa soudainement, laissant apparaître la face rouge de Galados.

L’oiselle était infiniment moins précieuse que son ancien garde du corps-slash-geôlier-slash-crush-du-moment. Elle le conduisit jusqu’à la maîtresse de la basse-cour, sans une once de délicatesse. Ce “nous” était inquiétant, mais mieux valait être traité en partenaire qu’en captif. Quoique. Au moins on nourrissait les captifs. “Laissez-moi deviner. J’aurai dû lire les petits caractères quand vous avez promis une exfiltration de ma personne de ce merdier ?”