Navi avait une connaissance stupéfiante de tout ce qui était plantes et potions, mais il avait une lacune importante pour quelques spécimens dû à l'écriture absolument illisible du vieux Magoras. Ce n'était donc pas sa faute (notez-le bien dans vos carnets) s'il était dans l'obligation de compléter ces lacunes. Ce n'était également pas sa faute s'il avait été agressé par une troupe de gobelins (au moins 10 !) qui lui avait volé son sac de voyage. Heureusement que Navi connaissait ses livres presque par cœur (après presque deux siècles il avait eu le temps de bien les lire).

Bref.

Tout ça pour dire que oui, évidemment qu'il avait été dans l'obligation de manger la plante mystérieuse qu'il avait repéré dans la forêt. Et évidemment qu'il était maintenant très bien au courant des propriétés spécifiques de la plante. Et évidemment qu'il n'avait plus d'antidote pour combattre les effets d'empoisonnement car les gobelins étaient sûrement en train de se laver les aisselles avec.

Et c'est lui ou le monde est devenu hyper.. flou... soudaine—

Navi n'avait jamais été très bronzé, mais sa couleur blanche actuelle était limite transparente. Les veines mauves qui ressortirent sur son visage lui donnaient même une teinte mauve. S'il avait été assez conscient pour le voir il aurait même pu dire que c'était joli (assorti à ses cheveux).

Ça se fait souvent d'avoir des hallucinations étranges quand on mange des plantes empoisonnées ? Non parce qu'il avait comme l'impression qu'il voyait un reflet horriblement ridé (sachant que pour le mage chaque ride était déjà de trop). BWEURGH. Qu'est-ce qu'il vient de se passer là ? Il a..... il a gerbé ?

Oui et c'était d'ailleurs étrange. Pire qu'étrange, c'était louche. Cela faisait 25 50 88 bon d'accord plus ou moins 200 ans que Navi avait très bien vécu sans le calme et l'apaisement. Et ça lui allait très bien ! Magoras l'aurait limite laissé gerber encore quelques heures, question de tester quelques potions de soin supplémentaires. Navi eut donc un mouvement de rejet. J'veux pas d'tes potions pourraves, Magomerde ! Il voyait encore flou, ok ?

Compte tenu des circonstances, Moira ne réagit pas au juron. Elle avait déjà vu des patients réagir de toutes sortes de manières après un empoisonnement alimentaire. « C’est juste de l’eau, pas une potion. » Au moins il avait assez récupéré pour faire des manières… C’était moins reposant, mais encourageant.

Magoras avait dû prendre une potion qui l'avait transformé en femme ou un truc du genre. Un horrible cauchemar. Menteur. C'est ce que tu dis tout le temps. Mais il avait la gorge si sèche. Et un goût amer sur sa langue. Attendez une seconde... est-ce qu'il puait de la gueule ?! Le mage ouvrit à moitié un œil, mais ne voyait encore une fois qu'une vague silhouette ridée. ... si c'est pas de l'eau je te jetterai des mauvais sorts. Et il prit quand même quelques gorgées.

Il délirait ? À surveiller. Chacun réagissait différemment à un empoisonnement pareil et on n’était jamais à l’abri d’effets secondaires inédits. Mais au moins il finit par accepter l’eau (car c’était bien de l’eau). « Attends au moins de tenir debout avant de vouloir lancer des sorts », le railla gentiment Moira. « Ou mieux: menace pas de lancer des sorts sur ceux qui t’aident sans qu’on leur ait rien demandé », renchérit Aisling, posée à côté d’elle.

La deuxième partie de sa réponse (et depuis quand Magoras avait deux voix ?) lui sonnait plus familier. C'est ça, j'ai rien demandé, continua-t-il à marmonner tel un enfant qui voulait toujours avoir le dernier mot. C'est qu'il était fiévreux aussi. C'était sa les gouttes sur son front ? De la sueur ?

S'il n'était pas encore en train de mourir, il préférait largement commencer maintenant. La sueur était la goutte (ha !) de trop. Il avait vomi donc il puait sûrement de la gueule. S'il transpirait il allait puer du corps aussi. Y a pas un pire destin pour un grand magicien de son statut. Je veux pas puer L'avait-il dit à voix haute ? Pas grave. C'était la vérité. Pitié, une rivière quelque part ? De l'eau fraîche ? Pourquoi s'était-il aventuré si loin ?

Magoras avait touché ses cheveux ! Sacrilège ! Est-ce qu'il était parti chercher du shampoing et du savon au moins ? Il n'avait pas complètement entendu ce qu'il avait dit, encore trop dans les vapes pour bien enregistrer ce qui se passait autour de lui, mais ça lui semblait une conclusion logique vu sa demande précédente. Le mage tenta quand même de se redresser sur ses coudes et remarqua pour la première fois la teinte de sa peau. Oh... je suis joli. Et assorti à ses cheveux !

Bien que le jeune homme se soit redressé au retour de Moira, il avait toujours l’air autant dans les vapes. Enfin, au moins il ne pleurnichait plus. « Le mauve te plaît ? » « Ne l’encourage pas dans son délire. » « Aisling, je me passerai de tes commentaires. » La canne grommela, mais ne répliqua pas.

"Son délire" ?! A qui parlait Magoras ? Navi plissa des yeux à la recherche de son interlocuteur et le flou dissipa. Pas Magoras. Une vieille femme (aussi vieille que Magoras peut-être) et... il ne voyait pas la deuxième personne. Elle semblait seule. Une vieille sotte, donc ! T'es qui toi ? Qu'est-ce que tu m'as donné ?!

Ah, il commençait à poser des questions cohérentes. Bien, ça voulait dire qu’il était un peu moins dans les vapes. « Je m’appelle Moira. Je t’ai donné un vomitif pour expulser de ton corps ce qui l’empoisonnait. Et toi, comment t’appelles-tu ? » Autant commencer par des questions simples. Par contre, elle lui toucherait tôt ou tard un mot sur la sécurité alimentaire (ne PAS manger n’importe quoi).

Il allait lui dire qu'il ne l'avait pas demandé son nom avant de se rappeler que c'était exactement ce qu'il avait fait. Est-ce que ça peut être rhétorique, cette question-là ? Parce qu'en vrai il s'en foutait un peu de son prénom de grand-mère. Un vomitif ?! Que c'est barbare ! Pourquoi pas une potion de santé ? Tellement plus logique. Et beaucoup moins dégueulasse, aussi.

« Parce que je n’avais pas de potion de santé sous la main. » La réponse était d’un banal. Maintenant que son patient avait l’air d’aller mieux, Moira plaça le matelas à côté de lui. « Essaie de rouler un peu sur ta gauche. C’est pus comfortable que le sol. » Elle se tenait prête à l’aider si le mouvement lui posait des problèmes.

Navi n'avait pas besoin d'assistance. Il n'était pas un vieux pépé assisté avec une canne et un dentier. Si elle ne le voyait pas, c'est qu'elle avait besoin de lunettes avec l'épaisseur de deux pouces d'orcs. Je suis très bien où je suis ! Je dois juste trouver ma... Où est son sac ? Ah. Ah non, ça lui revient. Il n'avait plus de potions. Foutus gobelins ! Tu n'as pas vu une bande de sales gobelins voleurs, j'imagine ?

Têtu, le bougre. Enfin, s’il préférait l’herbe, hein. « C’est toi qui vois. Et non, je n’ai vu personne dans les environs à part toi. » Puisque les événements précédant son évanouissement lui revenaient, autant en profiter pour creuser la question de ses choix alimentaires douteux. « Pourquoi est-ce que tu as mangé cette fleur ? C’est un poison mortel pour la majorité des espèces. »

Pourquoi ? Pourquoi posait-elle des questions débiles ? Il n'y a qu'une seule façon de vérifier l'effet des plantes, lui dit-il bêtement (car une question bête recevait une réponse équivalente). Ou des potions. Ou des repas. Il faut manger ! (Ou boire, j'imagine).

La dernière fois que Moira avait fait face à ce raisonnement (énoncé sérieusement du moins), c’était quand ses enfants étaient encore petits. Ah, et Pim s’en approchait parfois aussi. Autant dire que de la part d’un adulte, c’était pour le moins inattendu. « Et comment diable veux-tu apprendre quoi que ce soit d’une expérience pareille si tu n’en ressors pas vivant ? »

J'ai survécu à pire. Il commençait d'ailleurs à croire très sérieusement que sa chance légendaire (si on pouvait dire qu'il était chanceux) était dû au fait qu'il était élu de... quelque chose. Il ne savait pas vraiment ce que ce quelque chose représentait — et pour être honnête il s'en fichait totalement aussi — mais ça l'arrangeait dans tous les cas.