En vrai ce n'était pas la saisons des carottes dans le jardin de Zenkûga non plus. Si elles poussèrent si bien, si grandes, si orange, c'était absolument dû au sol bien nourrissant consistant de deux paladins (chiants), un elfe (qui chante chantait faux) et les restes d'un dragon-fée (écrasé par erreur). Il serait d'ailleurs peut-être temps d'ajouter un peu d'engrais naturel pour ses tomates. Elles n'étaient pas assez grandes et rouges à son goût.

Zenkûga était fort occupé dans son jardin. Preuve : il portait là son chapeau de paille (conçu pour une tête d'humain et donc bien trop petit pour lui (ce qui expliqua pourquoi sa propre chevelure dépassa du haut du couvercle déchiré)) et un beau tablier qui lui couvrait les abdos. C'était sa tenue de jardinier. Et grande était sa surprise quand un poulet géant atterrit là sans annoncer sa présence !

Sans attendre - c'est qu'il n'avait pas que ça a faire ! - Pachouliboukoualoubouzoulek se pencha et saisit délicatement dans son bec les fanes d'un plan de carottes. Mais il eut beau tirer, le légume refusait de venir. A force de s'acharner ce furent les feuilles qui cédèrent et la tête du dragon-chouette partit brusquement en arrière. Il recracha la verdure avec agacement. Ça par exemple ! Fichus carottes !

C'est qu'il ne sait pas ce qu'est un bachibousouk ou il aurait peut-être compris qu'on l'adressait. Ou peut-être pas. Est-ce qu'un humain se soucie de ce que dit la poule avant qu'il lui brise le cou ? Je ne pense pas ! Tok tok ou poook poook, peu importe. Il n'y aucun gloussement de poule qui pourrait le convaincre qu'une bonne cuisse de poulet ne va pas très bien avec euh, bah, ces carottes, tiens ! Et toc ! Il vise la poule qui se trouverait bien aplati si elle ne bouge pas les fesses.

Une poule qui parle ? Il aurait dû s'en douter vu le "bachibousouk", mais l'entendre une fois ne fait pas une vérité. Une deuxième fois, par contre, dur à nier ! A moins que les champignons du matin l'ont fait halluciner. Ca ne serait pas la première fois non plus. Zenkûga plissa des yeux en baissant la massue. Toi poule qui parler ?

Pachouliboukoualoubouzoulek eut un mouvement de recul devant cette insulte. Moi pas poule, bouffi ! Moi dragon ! Toi être stupide ?! Moi dragon qui cherche carottes ! Le dragon-chouette avait lu ça dans un livre. "A Samigoloumaroum, faites comme les Samigoloumaroumois".

Un dragon ? Cette poule avait la folie des grandeurs. En quoi cette poule était un dragon ? C'était clairement... une poule. Juteuse. Qui... fait des bruits de poules. Et... pond sûrement des oeufs. Et qui cherche des carottes, apparemment. Ca mange des carottes, les poules ? Ahaa ! Zen avoir beaucoup de carottes. Bonnes carottes. Mais Zen pas vendre aux poules. Zen manger poules.

Mais puisque je te dis que je ne suis pas une poule, tête de pioche ! Je suis un dragon ! Un dragon ! C.H.O.U.E.T.T.E. ! martela Pachouliboukoualoubouzoulek. Ca ne se mange pas, un dragon ! D'autant plus si c'est un potentiel client, bouffi ! Un client avec beaaauuuucoup d'oooor !

Plusieurs remarques à faire, mais surtout deux qui lui viennent à l'esprit. 1) Toi pas être dragon. Logique. Il en a déjà vu. Il en a déjà tué. Il en a même déjà mangé. Ce qui le fait arriver au 2) Dragon mangeable. Pas très bon, il préfère le poulet, mais mangeable. L'humain est mangeable aussi. Toute chair est mangeable. Elle nécessite tout simplement plus d'accompagnements.

L'orc croisa ses bras musclés, soudainement beaucoup moins chaleureux (et c'est dire pour une bête stupide qui était d'abord venu en balançant sa massue dans les airs). Si moi si stupide, pourquoi moi toi donner carottes ? En gros : tu m'insultes, puis tu me demandes un service et puis quoi encore ?!

Il fallut quelques secondes à Pachouliboukoualoubouzoulek pour traduire la question dans une langue intelligible. Ça n'a aucun rapport, bouffi ! Ne soit pas susceptible et échanges-moi juste tes carottes contre de l'or ! Sacrebleu ! Je croyais que tous les bipèdes aimaient l'or ! Tu n'aimes pas l'or, petit bipède vert ? Le ton avait beau être interrogatif, il était surtout contrarié. A quoi bon apprendre les coutumes des bipèdes si ça ne marchait pas à tous les coups ?

Est-ce qu'il aimait l'or ? Bah il ne le détestait pas, ça c'est certain. Il aurait même été ravi de prendre l'argent du poulet s'il lui avait posé la question d'une façon plus ou moins convenable et moins agressivement. Mais ! Avant tout ! L'orc avait une question plus importante à poser ! Comment poulet avoir or ? Ca a des métiers, les poulets ?

Ha ! Il le savait ! Le poulet avait encore évité de répondre. C'est ce que font les menteurs et les voleurs. Et possiblement les poulets qui ne sont pas des poulets. C'est avec une grande certitude que l'orc pointa la soi-disante bourse remplie de soi-disantes pièces. Toi retourner manger maïs, gros poulet ! Ou Zen te farcir et manger pour repas !

MAIS NON ! hurla un Pachouliboukoualoubouzoulek excédé. Je ne veux pas manger du maïs, je veux manger des carottes ! DES CAROTTES ! Les carottes qui étaient juste devant lui en l’occurrence. Oh et puis, après tout, pourquoi il s'enquiquinait à discuter avec cet avorton vert. Il n'avait qu'à se servir, non ? Bon, pousse-toi, ignare du dimanche. Je vais les prendre moi-même.

"Pousse-toi" ? Pousse-MOI ?! Zenkûga se bomba le torse et prit une grande carrure. Il était Zenkûga, Fils de Askoth, Vainqueur de Dragons, Boucher du Sud, Lèche-Os, Craqueur de Crânes, Triple Sang et... et autres ! Un poulet, même un géant, n'allait certainement pas lui dérober de ses précieux légumes. TOI TOUJOURS POUVOIR ESSAYER, fit-il de sa voix grondante.

Oui, oui, c'est ça, c'est ça. Pachouliboukoualoubouzoulek agita un bout d'aile désinvolte en direction de l'orc et se décala pour s'avancer vers les fameuses carottes. Cette fois, il s'y prendrais autrement. S'il retournait tout le carré avec ses serres, la récolte serait bien plus facile, n'est-ce pas ? Le dragon-chouette gloussa d'autosatisfaction, charmé par cette fantastique idée qu'il venait d'avoir.