Nano. RolePlay

Shunsuke ouvrit les yeux. La veille au soir, il était allongé sur son lit après avoir passé une soirée à regarder des chaînes japonaises dans son appartement à New York ; à présent, il était allongé sur une étrange pierre plate, à regarder la lumière filtrée par les feuilles d'arbres. Le komorebi. ... Qu'est-ce que... Constatant la pierre où il était couché, il se leva brusquement. Nani ?? (Quoi ??) Qu'est-ce que c'est que ça ?? Je suis où, là ?? Non... On m'aurait retrouvé ? Et kidnappé ?? Impossible !... Il regarda autour de lui. Il se trouvait dans une forêt, en haut d'une colline au long de laquelle serpentait un escalier avec des marches en bois. ... Je doute qu'on m'aurait emmené là, dans ce cas-là... Il inspecta ses cheveux : prenant son bain le matin, il ne s'était pas douché le soir, et donc sa teinture brune était restée. Il se retourna, et vit alors à sa grande surprise un haut bâtiment rouge, de style très traditionnel. L'entrée portait l'inscription "yu". C'est un onsen... ? Alors qu'il s'approcha, curieux, une voix féminine dit d'une voix à la fois murmurante et résonnante en japonais : Wareware no sekai e yôkoso. Kono ryokan wa anata no mono desu... (Bienvenue dans notre monde. Cette auberge est à toi.) Sursautant, Shunsuke savait qu'il fallait se méfier. Dare desu ka?? (Qui est-ce ??) Mais malgré cela, il se retrouva inexplicablement pris d'une envie irrésistible de pénétrer dans cet étrange ryokan. Et finalement, c'est ce qu'il fit.

Alangui sur une pierre, Viholvärakuuna se prélassait tel un lézard se gorgeant de soleil. Le dragon était parti en volvä, entrant dans un état de méditation par le simple apaisement de son corps détendu ; l'Entre-mondes était chaleureux en ce jour ensoleillé. Les Hiisi se tenaient sagement éloignés du Chante-Mage qui brillait comme le plus étincelant de tous les astres connus, et ils étaient nombreux.

Et Viholvä songeait, son esprit semblable à un renard joueur sautillant du coq à l'âne. Vistustaja revenait souvent le hanter mais il le repoussait pour des pensées plus heureuses ; il n'avait nullement le désir d'appeler les Hiisi dans son sillage. Lui vint alors en tête une question, un problème, un besoin impérieux de savoir : le sens de l'inscription de sa tasse favorite !

A l'appel de son songe, la vision d'un monde s'offrit à lui. Il ne vit rien qui le renseigna mais sut qu'il pourrait y trouver sa réponse ; il traversa en un clignement de pensée. Ses pattes posées sur le feuillage inconnu d'une clairière, confronté à un grand bâtiment écarlate, le Chante-Mage eut une autre pensée : les voiles de l'Entre-mondes étaient bien poreux dernièrement ! Sans doute un contre-coup du vol du Miroir de Guldin... Mais c'était là un autre problème pour un autre jour.

Curieux, le dragon s'approcha du bâtiment duquel émanait une étrange sensation. Un pouvoir latent et des yeux épieurs ; voilà que son esprit s'accrochait à une autre curiosité ! Il s'y faufila sans marquer d'hésitation, bourdonnant de la joie de la découverte, chiot dans un monde nouveau.

Shunsuke observa le hall d'entrée, où il n'y avait étrangement aucune okami pour l'accueillir. Il enleva ses chaussures et les plaça dans un casier adjacent, avant d'enfiler une paire de pantoufles parmi toutes celles alignées. Une fois arrivé dans le gigantesque hall central, de multiples bougies s'allumèrent partout comme par magie. Ce serait l'oeuvre d'un mutant ? En tout cas, j'espère que le bois est ignifugé... Il contempla la vingtaine d'étages et les couloirs en bois, au plafond desquels abondaient des lanternes asiatiques rouges. Au sol se trouvaient plusieurs sources d'eau chaude. Enfin, plusieurs statues rouges ayant la forme d'un dragon asiatique surplombaient les deux pavillons du hall ainsi que le toit de l'entrée derrière lui. Bon, ben... À moi de choisir la chambre qui me plaît, je suppose... Bien que tout ça soit très bizarre. Pourquoi m'offrir un ryokan, comme ça... ?? Il sentit soudain une présence sortir de l'entrée et se rapprocher de lui. Un frisson parcourant son échine, il se retourna immédiatement : un dragon asiatique avait fait son apparition à une dizaine de mètres de lui. Il n'en crut pas ses yeux. Puis il tomba sur les fesses, le regard terrifié. Aaah !! Aaah !! Ore no soba ni chikazuku na !! Kuru na, kuru na !! (Ne t'approche pas de moi !! Viens pas, viens pas !!) ne put-il pas s'empêcher de dire sous le coup de la peur. Il lança de l'eau des sources sur le dragon, mais la peur l'empêcha de former des petites gouttes et d'en augmenter la pression, lui faisant lancer des grosses gerbes inoffensives.

Même si ce bâtiment ne valait, bien évidemment, pas la beauté luxueuse de SA montagne, Viholvä devait convenir que le propriétaire des lieux n'avait pas lésiné sur le gigantisme. Il n'avait aucun souci pour se mouvoir dans la pièce d'entrée et mêmes les portes étaient à hauteur de dragon !

...

A hauteur de dragon ?

Le Chante-Mage huma l'air de sa langue bifide, inquiet d'y déceler l'odeur caractéristique d'un congénère ; il n'avait aucunement envie de gâcher sa journée à se frotter à l'un de ses comparses ! Heureusement, il s'agissait d'une fausse alerte : le propriétaire des lieux avait juste la folie des grandeurs.

Le dragon observa donc de tout son saoul l'intérieur de l'édifice, sa curiosité toujours au cœur de la musique qui animait son être. Il devait dire qu'il appréciait la décoration à son effigie ! Il en ronronna même en redressant la tête, tout fier et  un air goguenard accroché à la gueule... lorsque, subitement, il se reçut violemment de l'eau sur le museau.

Et voilà que le grand Viholvärakuuna le Chante-Mage sautait en l'air tel un chat effarouché, la queue agitée dans tous les sens et les épines dorsales hérissées le long de son sinueux corps tordu à l'extrême.

"Quelle est cette infamie ?!" siffla le dragon en trompetant des flammèches outragées en direction de l'humain - ce maudit mage ! - qui avait osé l'insulter de la sorte. Si ses oreilles peinaient encore à saisir le sens de la langue inconnue, sa Voix tonnait dans toutes les langues connues et inconnues sans souci de compréhension.

Shunsuke fit danser l'eau d'un geste simple pour éteindre les flammèches. Peut-être que c'est un mutant pouvant se transformer en dragon ?? Sa peur se mua en combattivité, puis en étonnement. Le dragon semblait lui avoir répondu en japonais. "Quelle est cette infamie ?" ... Est-ce que ça sortirait vraiment de la bouche d'un mutant qui souhaitait m'attaquer ? Maintenant sa pose de combat, il choisit de s'expliquer, toujours en japonais. Avec un registre honorifique, ça allait de soi. ... Ô dragon-sama... J'ai été téléporté de nulle part devant cette gigantesque auberge, dont une voix m'a dit qu'elle m'appartenait. J'étais tellement absorbé par la beauté des lieux que vous êtes arrivé derrière moi sans que je vous entende. J'ai pris peur, ai paniqué et me suis défendu avec ma magie. Enfin, ce n'est pas vraiment de la magie... Mon contrôle de l'eau m'a été conféré à la naissance par une condition généti... Euh... Oui bon, disons que c'est de la magie. Mais pas vraiment. Un temps. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas votre ennemi. Je suis profondément désolé de vous avoir aspergé d'eau. Et vous pourrez manger à votre faim dans cette auberge, inutile de me dévorer. Parmi les divers sentiments précis de Shunsuke à ce moment, néanmoins, aucun n'égalait d'intensité l'émotion solennelle que lui procurait le fait de parler à l'une des créatures légendaires de ses contes d'enfant. Les dragons existent... !!! Il se serait prosterné par terre et proféré mille excuses en temps normal, mais prudence oblige, il n'en fit rien et maintint sa pose.

HRP :

Il en faisait, des drôles de gestes, ce moustique ! Cherchait-il vraiment à ce qu'il déchaîne sur lui le feu de sa colère et ses flambées de Mots ? Le dragon claqua des mâchoires en ronchonnant de la vapeur blanche. Il avait même osé éteindre ses flammes, à lui, le grand Viholvärakuuna ! Pour sûr que cet outrage demandait réparation. Il devrait lier ce petit humain à une malédiction digne de ce nom pour lui apprendre les bonnes manières, notamment le respect dû à un dragon, d'autant plus quand ce dragon était un Chante-Mage de son acabit !

Mais ! Mais il y avait un mais, heureusement pour cet inconscient. Le lieu dans lequel ils se trouvaient présentait bien plus d'intérêt à ses yeux. Même si l'humain s'embourbait un peu dans le mensonge de son explication (qu'il n'avait de toute façon écouté que d'une oreille distraite...). Il ne cessait d'être accaparé par les statues de dragon.

Rouges. Belles. Majestueuses. Comme lui, vraiment. A son effigie.

Le ronronnement remplaça bientôt ses grondements agacés alors qu'il se redressait sur ses pattes arrière pour observer de plus près la tête d'un des dragons. Ce fut alors que les yeux en pierres précieuses semblèrent lui renvoyer son regard comme s'il se fut agi d'un être vivant et Viholvä bondit en arrière en crachant un défi à l'autre dragon... aussi inerte que le rubis dont il était fait.

Interloqué, il ne put que subir les rires qui chuintèrent soudainement des ombres. Décidément, il y a de la fourberie d'Hiisi dans l'air...

Le Japonais s'écarta alors que le dragon atterrit près de lui. Il semblait avoir été menacé par l'une des deux statues rouges de dragons au-dessus du "toit" de l'entrée, statue qui ne semblait pas si inerte que ça... Et pour combler le tout, des échos de rires aigus résonnèrent dans toute la salle, partout autour de l'humain et du dragon.

Est-ce que tout ça est réel ? Est-ce que je fais un rêve un peu trop conscient par mal du pays ? L'inquiétude montante du jeune homme s'imposa face à la joie de voir un dragon, et il souhaita de plus en plus n'avoir jamais mis les pieds en ces lieux.

Tout à coup, un plus grand frisson encore parcourut son échine, et il fit volte-face, distinguant peu à peu une silhouette de femme avec un masque de renard, habillée en yukata et portant des geta au pied.

Ravie de voir que vous avez pu vous joindre à nous... Dragon. Elle tourna la tête vers Shunsuke. Votre ryokan vous plaît-il ? Sans attendre la réponse de Shunsuke : Je l'espère. Ce ryokan comprend des chambres de toute taille, convenant à tout invité. Choisissez à votre loisir votre chambre... Puis, avant que sa silhouette ne disparaisse, elle murmura : Veillez à ne pas vous tromper.

Cette fin de phrase acheva d'angoisser Shunsuke. Il avala sa salive, inspira, expira, puis décida de partir à la recherche d'une chambre. Cela ressemble à une épreuve... Il se retourna et regarda le dragon, pour voir si ce dernier souhaitait l'accompagner. J'en doute... Il n'avait pas l'air intéressé par moi, ni par ce que je disais tout à l'heure...

Cet endroit était décidément déconcertant. Et intriguant. Un frisson d'excitation courut le long de l'échine du dragon qui en aurait presque secoué la queue d'intérêt. Mais comme il n'était pas un vulgaire toutou, bien entendu, il ne le fit pas.

Désormais rassuré que les statues n'étaient qu'animées par des facétieux esprits, toute inquiétude avait déserté le langage corporel de Viholvä au profit du profil inquisiteur d'un limier - et il n'était toujours pas un chien !

Pour autant, il fut à nouveau surpris devant l'apparence de la créature qui se présenta devant eux : elle n'avait rien des traits habituels des Hiisi. Elle était bien trop tangible et bien trop genrée... les petits démons de l'Entre-mondes qu'il connaissait depuis de longs siècles étaient parfois si vaporeux qu'ils se confondaient parmi les ombres où ils n'étaient qu'un sourire ou un rire malin.

Mais pour ce qui était de la malice, cette créature n'en était pas plus dépourvue que les Hiisi ! Et Viholvä n'aimait guère être la proie des jeux fantasques d'esprits farceurs... sauf lorsqu'il était d'humeur joueuse, lui aussi, et c'était peut-être bien le cas. Il redressa donc le cou, un sourire amusé tordant sa gueule.

- Soit ! Viholvärakuuna le Chante-Mage accepte de jouer avec vous, esprits du Ryokan !

A cette annonce, il crut percevoir des mouvements aux limites de sa vision, ce qui était inhabituel pour un dragon ayant un champ de vision extrêmement large ; son sourire taquin n'en fit que croître.

- Humain ! Attends donc !

Ce papillon-ci l'intéressait également...

Shunsuke et le dragon étaient tout deux en pleine exploration des couloirs du ryokan - qui paraissaient interminables, mais compte tenu des phénomènes paranormaux dont il avait été témoin, cela n'était guère surprenant. Le jeune homme avait toujours du mal à croire qu'un dragon marchait derrière lui.

Comme Haku dans Le Voyage de Chihiro...

Cette pensée le détourna un instant de la situation où il se trouvait. De plus en plus de choses empestaient le danger, et pourtant, il éprouvait une envie irrépressible de rester et d'explorer les lieux... Il avala sa salive, inspira et expira, puis se résolut à faire la conversation au dragon.

... Je m'appelle Shunsuke. Et vous, comment-vous appelEEEEEEEEZ...

Une trappe venait de s'ouvrir sous les pieds de Shunsuke, distrait par le dragon qu'il avait été en train de regarder derrière lui en marchant. Il glissait dans un toboggan souterrain, lâchant des "AAAAH" tout du long, terrifié à l'idée de savoir où cette descente l'emmènerait.

Pas dans une salle avec des piques, pas dans une salle avec des piques...

Ce n'était pas une salle avec des piques. Il atterrit sur un gros futon géant à la fois épais et moelleux. Ouvrant les yeux, il constata qu'il se trouvait dans une chambre traditionnelle... Avec balcon.

... J'ai été transporté à un étage supérieur ? ... Est-ce que c'est un rêve ?

Viholvä devait bien convenir qu'il ne faisait pas du tout attention au petit Humain. Certes, il réussissait à manipuler l'eau - et avait eu l'audace de le mouiller, il ne comptait pas l'oublier de sitôt ! - mais le dragon avait déjà vu des mages en faire autant. Et s'il avait déjà croisé maints esprits, fantômes, Hiisi et autres créatures de l'intermédiaire, il n'en avait jamais vu de pareil à ce qui les avait accueillis... ou attirés dans ses rets.

Le dragon fouinait donc le plafond, les murs, le sol, et tous les objets à portée de museau ou de griffe, dans l'espoir de trouver un indice à même de satisfaire sa curiosité insatiable. Il n'écoutait que d'une oreille distraite.

- Je suis Viholvärakuuna le Chante-Mage ! N'as-tu pas ouï le son glorieux de mon Nom, petit Humain ?

Le silence qu'il reçut en réponse lui fit tourner la tête dans tous les sens, les oreilles dressées de surprise.

- Mage Shunsuke, il n'est guère plaisant de parler dans le vide."

Avait-il osé lui fausser compagnie ?  

....

Ah ! Une minute...

Ce cri qui avait terminé sa question de façon si inélégante ! Il en comprenait désormais la raison. Le dragon renifla en direction des ombres.

- Vos petits tours ne m'impressionnent pas.

Un rire lui fit alors redresser la tête vers un plafond qui se dévoilait subitement en un passage. Le dragon n'hésita pas à s'y laisser porter par les vents d'Ääni - on ne dira pas qu'il craignait un piège évident ! Il se retrouva bientôt dans une chambre aux parois rocheuses où trônait en son centre un bain de lave ; ce fut dans un ronron de satisfaction qu'il s'y lova.

Shunsuke observa la chambre. Le sol état recouvert de tatamis (faits en paille de jonc), avec au centre une table basse entourée de coussins (sans doute pour recevoir des invités). Le balcon pouvait se voir dans l'entrouverture du shôji, une porte coulissante faite de papier japonais  tendu sur un cadre en bois, laissant passer la lumière mais pas les courants d'air. Et bien sûr, sur un des murs de la pièce se trouvait un tokonoma, grande alcôve destinée à recevoir des objets décoratifs, et sur le mur de laquelle était accroché un grand parchemin vertical. Sur ce parchemin figurait une inscription disant "Les esprits de l'eau vous saluent."

Étrange mot d'accueil... mais il a son charme.

Et enfin, au bout de la chambre, se trouvait une porte coulissante : en la faisant glisser, il découvrit un bain privé. Un sourire se dessina sur le visage de Shunsuke : dès qu'il y avait de l'eau, il se sentait comme chez lui. Aucune autre chose sur Terre ne lui procurait davantage un sentiment de sécurité qu'un bon bain.

Ainsi, il ne tarda pas à se déshabiller et à poser les pieds dans le bain chaud. Il expira de bonheur.

Je ne sais pas pourquoi je suis là ni ce que trafiquent les esprits, mais en tout cas, je suis bien content d'y être ! C'est presque... Son sourire disparut. Trop beau pour être vrai...

Il regarda l'eau devant lui. Elle remua de plus en plus, puis en face de lui, l'eau remua et se souleva, comme si quelqu'un d'invisible venait de sortir de l'eau.

Shunsuke sortit immédiatement du bain, mais la présence lui attrapa la jambe, le faisant tomber.

Toute prudence avait été mise de côté quand il avait aperçu le magnifique cadeau que lui faisaient les esprits de cette demeure. La lave glissait chaleureusement sur ses écailles et son ronronnement de bonheur emplissait toute la salle. Il eut une pensée pour l'Humain mais elle s'envola dans un bâillement ; les esprits n'avaient aucun intérêt à lui faire du mal autrement que pour rire à ses dépens.

Affalé dans la cuve, les yeux mi-clos, le dragon ne faisait plus attention à ce qui l'entourait. Son esprit était comme embrumé par une douce odeur et cette chambre ressemblait tellement à SA montagne... Elle était parfaite, tout comme il aimait et... Rien de tout cela n'était normal... Non, tout allait bien... Parfaitement bien, il pouvait dormir en paix...

Un grondement sourd rompit la mélodie de ses ronronnements par intermittence. La sensation de bien-être refluait de plus en plus pour laisser place à une profonde colère. Envers lui-même, pour s'être laissé avoir. Envers les esprits, pour avoir osé le défier de la sorte. Viholvä ouvrit les yeux en sifflant méchamment, sa queue battant la lave dans un mouvement d'humeur.

- Qui a l'audace de... ?!

Sa menace s'étrangla dans sa gorge lorsqu'il s'aperçut qu'une grande partie de la lave avait gelé et que la glace se rapprochait dangereusement de lui, comme le sort de Vistustaja embrassait le feu de son coeur. Le dragon bondit hors de la cuve en grondant, le corps hérissé à l'extrême, cherchant l'ennemi des yeux ; il ne vit qu'une femme magnifique à la peau de neige.

Shunsuke, paniquant, secoua le pied suffisamment fort : il ne parvint pas à frapper la créature invisible, mais elle bascula en arrière et tomba dans l'eau. Il se releva, se tenant loin du bain, et tendit les deux mains pour soulever la majorité de l'eau et la créature avec : il projeta l'eau contre le mur, et un bruit sourd retentit, suivi d'un "ouille...".

Shunsuke se rhabilla alors aussi vite que possible, puis se prépara à quitter la chambre. Soudain, le parchemin, les tasses et les coussins se mirent à voler de leur propre chef. Le jeune homme se serait presque cru dans une chambre en apesanteur, à cela près que lui ne s'envolait pas.

Il entendit alors des petites voix aigües qui achevèrent de lui glacer le sang :

TU VAS RESTER AVEC NOUS... HUMAIN.

Lorsque le parchemin se leva, il révéla des petits globes oculaires de toutes les couleurs, qui le fixaient tous.

Lentement, ils sautèrent vers le sol, puis se dirigèrent lentement vers Shunsuke, qui commençait à transpirer, et ce n'était pas en raison du bain chaud qu'il venait de prendre. Il tenta de sortir en poussant la porte coulissant, mais rien n'y faisait : elle était fermée.

Bordel... !!!

Il se retourna, et alors que les yeux sautillaient en groupe vers lui, il eut une idée : il vit flotter la goutte de sueur qui perlait sur son front, en augmenta la pression, et tira en leur direction. La goutte meurtrière fit mouche comme une balle de pistolet, mais les yeux se divisèrent alors chacun en trois. Ils venaient de se multiplier.

Oh non.

La femme avait une peau translucide qui contrastait avec ses lèvres bleues et ses cheveux aussi noirs que les yeux d'onyx du dragon. Le corps toujours hérissé en accordéon, le dragon ne cessait de siffler méchamment, des flammèches trompetant au bout de ses naseaux ; mais le sortilège de froid éternel de Vistustaja rythmait ses maléfices en son coeur, influencé par le vent glacial qu'émettait la créature.

- Tu me vois, Dragon, dit-elle avec un sourire mort avant  d'avoir éclos. Pour sûr qu'il la voyait ! Il était un chamane, par les mille Hiisi ! Et pourtant, il avait peur comme il l'avait rarement ressenti ; pas depuis qu'il n'était plus un dragonneau qu'un aigle aurait pu emporter. Sa déconvenue allait lui servir de leçon : il n'aurait jamais dû baisser sa garde ! Ni croire que les esprits de ces lieux étaient plus joueurs que menaçants ! Car s'il devait en croire la glace qui se rapprochait dangereusement de lui, et de son coeur aux flammes gelées, Viholvä devait bien s'avouer en danger. Il pensa subitement à l'Humain qui maîtrisait l'eau. S'il était tué par son imprudence, l'équilibre pourrait pencher vers le néfaste et il aurait encore plus de travail sur les pattes.

- Vous devriez me craindre, esprits, comme les mortels craignent la colère d'un volcan.

Cette menace énoncée d'un ton rauque, le dragon fouetta la lave de sa queue pour éclabousser la créature qui gémit en se protégeant le visage ; il s'était déjà engouffré dans le passage le ramenant à l'étage inférieur, décidé à retrouver son compagnon d'infortune... dont la magie lui serait utile.

Shunsuke ne pouvait aller nulle part : les yeux le suivraient partout. Ils étaient déjà dangereusement proches de lui.
Soudain, une voix à la fois âgée et profonde résonna à l'extérieur de la chambre, du côté du balcon.

IL EST À MOI.

Les yeux s'éloignèrent instantanément de Shunsuke, puis disparurent instantanément. La voix résonna de nouveau.

JE VEUX SA TÊTE ENTRE MES DENTS.

Un énorme poing squelettique frappa alors le shôji menant vers le balcon : un énorme squelette géant, un gashadokuro, semblait y avoir grimpé. Shunsuke était sans voix. Le gashadokuro était la créature qu'il craignait le plus dans son enfance. Il ne cria même pas, trop paralysé par la peur, alors que le squelette géant plongeait lentement sa main dans l'ouverture pour attraper le jeune homme tout au bout. Malgré la terreur qui avait envahi tout son être, ainsi que les regrets de s'être laissé inviter aussi bêtement dans ce ryokan surnaturel, Shunsuke se ressaisit : il devait agir. Il devait se battre.

Il tendit la main vers l'eau à l'intérieur et à l'extérieur du bassin, l'amalgama, puis la projeta contre la tête du monstre, qui bascula en arrière et sembla tomber.
Shunsuke en profita pour essayer d'ouvrir la porte.

Oui, ça marche !!

Il sortit immédiatement, mais se retourna une dernière fois : le gashadokuro était revenu au balcon, et à côté de lui flottait une yuki onna ayant ce qui semblait être de la lave sur le visage. Elle se l'essuya d'un revers de la main, souriant étrangement. Puis les deux créatures disparurent.

... J'y comprends rien...

Plus le dragon serpentait dans le ventre du ryokan, plus il lui semblait qu'il était doté de couloirs mouvants qui se gaussaient de lui en s'amusant à le perdre dans leurs dédales. L'agacement montait crescendo au creux de ses entrailles échauffées. Les esprits de ces lieux avaient cru pouvoir s'en tirer sans une égratignure ? Ne les avait-il pas prévenu de l'imminence de l'explosion de sa colère ? Ne voyaient-ils par la grandeur dont il était revêtu des cornes jusqu'à la pointe de la queue ? Ils l'avaient cherché et allaient maintenant amèrement regretter de l'avoir trouvé, foi de Viholvärakuuna le Chante-Mage !

- Il suffit ! tonna le dragon d'une telle voix qu'il fit fuir les murs hantés, libérant le chemin qu'il essayait d'emprunter. Vous avez abusé de ma patience ! Entendez l'orage dans ma Voix et craignez-en la foudre car je n'aurai nulle pitié pour des petits esprits insignifiants ne sachant pas respecter la Puissance d'un Chante-Mage. Je vous BRISERAI ! Je vous REDUIRAI EN CENDRES! Je vous DISSIPERAI DANS LES OMBRES d'où vous venez et plus personne n'entendra jamais parler de vous !

Il vit soudainement son objectif au bout d'un couloir et termina sa folle course en s'enroulant autour de l'Humain, sifflant en regardant tout autour d'eux.

- Je sens encore la présence de ces misérables esprits. Qu'ils se montrent s'ils ont le courage de leur audace !  

Montrant les crocs, le dragon laissa sa Puissance s'exprimer toute entière en un dernier avertissement. La plaisanterie avait assez duré.

Shunsuke eut un gros sursaut de plus en voyant le dragon plonger vers lui et s'enrouler autour de lui. Heureusement, ce n'était pas pour le tuer, mais pour le protéger du squelette géant et de la femme des neiges, qui venaient de disparaître juste avant l'arrivée du dragon.

La lave sur la joue de cette femme des neiges serait du fait de ce dragon ? En tout cas, pas étonnant que ça ne lui ait fait aucun mal : sa glace magique est surpuissante, selon les contes... Mais le moins qu'on puisse dire, c'est que ce dragon en impose !
Merci d'être venu à mon secours. Comme je le disais avant d'être interrompu, je m'appelle Shunsuke. Et vous, comment vous appelez-v...

Shunsuke fut une nouvelle fois interrompu, cette fois par des mystérieux caractères flottants à l'aura visiblement maléfique qui sortaient des murs et flottaient vers nos deux héros.

Je suis attaqué par des mots écrits maintenant ?? 苦, "souffrance"... 死, "mort"...

Il s'apprêta à demander au dragon s'il était en mesure de les repousser, quand soudain, ses yeux se posèrent sur le parchemin tombé dans sa chambre.

Une minute...

Il aperçut un pinceau et de l'encre au loin sur l'alcôve.

Excusez-moi... dit-il en passant entre le corps sinueux du dragon, et se précipitant vers le papier. Les caractères se dirigèrent alors vers lui.
Il étendit le papier au sol, trempa le peinceau dans l'encrier, et traça rapidement, intuitivement et avec de grands gestes élégants le caractère 清, "pur, exorciser". Les sinogrammes maléfiques s'évaporèrent instantanément.

Ouf... Mon intuition avait vu juste.

Ce Shunsuke devait avoir de la mousse qui avait poussé dans ses oreilles ou un sacré problème de surdité pour lui demander son Nom qu'il avait déjà donné deux fois. Il s'en sentirait presque insulté, de ne pas avoir son attention entière, mais il avait le bénéfice du doute pour au moins la deuxième fois : après tout, il avait crié tellement fort en tombant qu'il avait dû couvrir la présentation du dragon.

Viholvä s'avança donc vers l'Humain sans paraître trop menaçant, expulsant de son chemin ces Mots dérisoires qui flottaient autour d'eux - quelle sotte idée que de leur ôter leur Puissance en les écrivant ! Mais il s'arrêta net en voyant le mage les faire totalement disparaître en écrivant à son tour ses formules de révocation sur son parchemin ; il renifla, peu disposé à reconnaître la grandeur d'une telle magie.

- Bien mieux... Nous pouvons passer aux choses sérieuses...

Son museau percuta le torse de l'Humain, suffisamment fort pour obtenir son attention sans le faire tomber à la renverse.

- Es-tu tout ouïe ? Comme toutes les oreilles de ce lieu ?! Sa Voix grondante avait repris des intonations tempétueuses. Je suis Viholvärakuuna le Chante-Mage ! Et je me suis montré suffisamment patient dans cette affaire. C'en est assez ! Si mes avertissements n'ont rien donné, ces esprits vont affronter ma colère.

Redressant son long cou, le dragon se mit à déclamer un Chant de Pouvoir afin d'appeler des Hiisi qui sortirent des ombres en ricanant.

- Trouvez la créature qui me défie, leur ordonna-t-il.

Étonnamment, Shunsuke ne trembla pas face au ton autoritaire, menaçant et tonitruant de Viholvä. Il avait vécu bien plus terrifiant il y avait quelques instants. Néanmoins, il ne resta pas de marbre : le dragon en imposait et ne plaisantait pas, lâchant ce qui semblait être des esprits maléfiques à son service, probablement à la recherche de la femme au masque de renard.

Après tout, ce doit être elle, la chef de tous ces yôkais... Ces esprits farceurs ou malfaisants...

Il osa regarder le dragon dans le yeux.

Viholvärakuuna... Vous avez un nom magnifique. Pour tout vous dire, j'ai été fasciné par les dragons depuis mon enfance. Vous êtes le tout premier que je vois de mes propres yeux, et... c'est un très grand honneur pour moi de vous rencontrer.
Ces paroles n'avaient rien de flatteries, et étaient prononcées avec la plus grande sincérité.

Après quelques secondes, des cris résonnèrent partout autour de nos deux héros : bon nombre de yôkais résidant dans ce ryokan semblaient effrayés par la venue de ces esprits que Viholvä avait invoqués.

ASSEZ, résonna soudain la voix de la femme masquée, qui ne se montrait pas encore, sur un ton tout aussi tonitruant.
Ô humain, ô dragon... Vous avez réussi l'épreuve de bravoure. Nous ne l'aurions jamais fait passer à des êtres que nous n'aurions pas reconnus comme hautement dignes. À présent, cessons toute forme d'hostilité, rejoignez-moi dans le grand hall du rez-de-chaussée, et tout vous sera révélé.

Une épreuve de bravoure... ? pensa-t-il à voix haute.

Le mage humain venait de considérablement remonter dans son estime. D'une part, il prononçait correctement son Nom dès le premier essai, d'autre part, il le trouvait magnifique, et sans aucun relent de mensonge dans sa flatterie. La menace grandiloquente qu'il avait expulsé dans son coup de sang disparut en un instant alors qu'il fondait littéralement de ronronnements bienheureux.

- Tes oreilles, mage Shunsuke, fonctionnement bien mieux lorsqu'elles ont toute leur attention tournée vers moi. Et tu as bien raison ! Mon Nom est constitué de splendeur, de grandeur et de magnificence !

Il allait continuer plus avant dans la description de son Nom mirobolant sous toutes ses coutures lorsque la voix qui les avait "accueillis" mit un terme aux piaillements apeurés des esprits ; ses Hiisi faisaient du bon travail, il allait sans dire. Un sourire torve tordit la gueule du dragon.

- Nul ne saurait me commander, esprit. Je suis l'Intermédiaire entre le passé, le présent et les futurs, entre les vivants, les morts et l'entre-deux, entre les Puissances de la Nature et tout un chacun. Qui es-tu donc pour croire que tu peux défier ma bravoure, esprit ? Mais je suis curieux alors je vais répondre à ton invitation... après, et seulement après, j'aviserai si je rappelle mes Hiisi ou si je les lance en malédiction contre vous.

Il n'allait pas se laisser marcher sur les pattes par un vulgaire fantôme à masque de renard, non mais ! Pour la forme, il souffleta quelques flammèches pour faire étinceler ses écailles rougeoyantes puis se dirigea vers le hall.

Alors qu'il parcourait les couloirs et descendait les escaliers, Shunsuke eut de nouveau des vibes du Voyage de Chihiro. Sur son visage s'esquissa un sourire qu'il réprima, pensant que Viholvä, vu sa susceptibilité, pourrait mal le prendre : il venait de monter dans l'estime d'un dragon, et la dernière chose qu'il souhaitait était de gâcher cela.

Une fois arrivés dans la grande salle, où tous les yôkais les observaient depuis les rambardes aux différents étages, nos deux héros se tinrent face à la femme au masque de renard, qui fut alors enveloppée d'une aura lumineuse, et sa silhouette grandit et grandit, jusqu'à disparaître pour révéler un grand renard à 9 queues et à la fourrure blanche. Un kyûbi. Et s'il y avait deux créatures qui avaient particulièrement fasciné Shunsuke depuis sa plus tendre enfance, c'était les dragons et les kyûbis.

Le renard prit la parole, d'une voix révélant qu'il s'agissait en fait d'un mâle :
Que ce soit du fait de notre invitation ou bien du destin, vous avez été appelés tous les deux dans notre domaine. Ce ryokan se situe dans un monde étranger aux vôtres. Nous invitons des individus que nous estimons dignes et nous les testons par une épreuve de bravoure... qui jamais ne vous aurait causé le moindre mal physiquement. Mes sujets yôkais auraient immédiatement arrêté si vous aviez cédé à votre peur. Mais vous en êtes sortis brillamment, et ainsi, avez gagné notre respect, notre confiance... et notre loyauté.

Sur ces mots, le Kyûbi s'inclina, comme tous les yôkais présents aux étages supérieurs.

Dès qu'il entra dans le grand hall, le dragon prit son allure la plus altière, grandissant son corps pour jauger les esprits présents de sa hauteur. Il nota avec un petit sourire que la femme de glace s'était prudemment reculée dans les ombres, plusieurs Hiisi accrochés à ses vêtements. Il siffla doucement entre ses crocs et, à ce signal qui claqua pourtant avec la force d'un vent de tempête, les démons d'ombre tournoyèrent en ricanant autour de ses pattes.

- Voilà bien longtemps que personne n'avait osé tester Viholvärakuuna ! Ma réputation me précède bien au-delà de MA montagne.

Il se dressa devant le Renard à neuf queues, yeux d'onyx dans yeux de rubis, écailles d'écarlate contre pelage d'immaculé.

- Il aurait pu arriver un grand malheur que de ne pas reconnaître à sa juste mesure ma Puissance, Grand Renard. Ton esprit-servant s'est retrouvé en plein milieu d'une querelle de dragons. Et mon cœur englacé par les maléfices de mon ennemi peine encore à se réchauffer.

Il ne nommait pas sa menace mais le message n'en passait pas moins. Le Renard eut le bon sens de le comprendre.

- Nous te devons donc réparation, Grand Dragon. Demande ce qu'il te plaît, je te l'accorderai.

Viholvä en ronronna de satisfaction, un vent d'Ääni fit claquer ses boucles d'oreille et les Hiisi disparurent dans l'espace d'un souffle. Grandiloquent, le dragon ôta son bonnet sans fond pour y plonger sa patte et en sortir la tasse pour laquelle il avait entrepris ce voyage au départ.

- Je cherche le sens de ces écritures.

Le kyûbi examina la tasse. Hmmm... Elle est inscrite dans une langue qu'aucun de nous ne connaissons.

Shunsuke leva la main un peu comme un élève à l'école. Veuillez m'excuser !

Oui, Shunsuke Morikawa ?

C'est écrit dans un alphabet et une langue de mon monde. Ce n'est pas ma langue maternelle, mais j'ai appris à la maîtriser.

Il se rapprocha des deux grandes créatures de tailles égales, et lut la tasse. Il afficha une mine étonnée. "I love tea"... Ça signifie "J'adore le thé"...

Soudain, voulant s'assoir sur le rebord de la source d'eau adjacente, il glissa et y tomba la tête la première. Les yôkais descendirent voir s'il allait bien. Certains avaient repris une forme animale anthropomorphique, tels que des tanukis, des loups, des chats, des lapins, des sangliers...
Lorsque Shunsuke remonta à la surface, sa teinture brune avait disparu, révélant ses cheveux blancs. Les yôkais parurent choqués.

- Des cheveux blancs ?
- T'es un yôkai, toi aussi ?
- C'est vrai, certains yôkais sont des humains aux cheveux blancs...

Il s'assit au rebord, le sourire triste.

Je ne suis pas un yôkai. Mes pouvoirs et ma chevelure, je les ai eus à ma naissance.

Kyûbi se rapprocha, l'air rassurant.

Tu n'as plus à t'inquiéter, Shunsuke Morikawa. Comme je l'ai dit, tu es digne. Nous sommes tous différents : c'est ce qui fait notre force, finit-il en souriant.
Puis, en levant la tête : Et maintenant, célébrons la présence de Viholvärakuuna et de Shunsuke Morikawa !

De nombreux yôkais firent alors apparaître tout des accessoires de fête, et se mirent à danser.

Que de surprises en cette journée ! Il n'aurait jamais cru que la réponse à son questionnement viendrait du petit Humain qui s'était avéré bien plus utile que sa faible constitution ne le laissait présager ; sa volvä ne l'avait finalement pas égaré en l'envoyant en ces lieux malgré toutes ces péripéties. Mais Viholvä n'aurait jamais cru que la réponse à sa quête soit... aussi banale ! Un rire franc et tonitruant le secoua.

- Rien de bien mystique mais rien de faux non plus.

Le sang battu par la bonne humeur que cette révélation, signant fin de sa curiosité dévorante, avait envoyé dans ses veines, le dragon se joignit volontiers aux célébrations. On lui servit dans sa fameuse tasse un alcool qu'il n'avait jamais goûté et qui le mena dans un état second entre la réalité et la volvä, ayant mésestimé les effets de la boisson.

Qu'importe ! Il put ainsi pleinement bénéficier du spectacle qui s'offrait à eux. Les yokais - Ah ! Ces esprits joueurs et fripons ! - jouaient de la musique, dansaient et chantaient, entraînant dans leur farandole de morts les vivants qu'ils avaient invité dans leur ryokan. Et voilà un chat à deux queues, vêtu d'un tissu bleu, dansant en rythme ! Et là, un loup vêtu de rose qui distribuait au gré de son pas volant des nouilles à qui en voulait ! Un autre chat jouait d'une sorte de luth, accompagné d'un renard au tambourin et de lapins flûtistes.

Et parmi eux, chamane parmi les esprits, Viholvä virevoltait au sein de cette danse macabre pour le moins joyeuse, alors que, dans le ciel, les étoiles chatoyaient.

Shunsuke se prêta volontiers à la danse. Il avait déjà oublié et pardonné les grosses frayeurs que les yôkais lui avaient fait subir : il savait que ces créatures, du moins celles présentes dans le ryokan, étaient très farceuses mais pas méchantes pour un sou.
Mâles et femelles, volant ou marchant, yôkais de naissance ou bien réincarnations de morts : tout le monde faisait les grands enfants, même les grands Viholvä et Kyûbi.
Dans le bassin, il se lia d'amitié avec un kappa, qui s'excusa de lui avoir attrapé la jambe en étant invisible ; avec les tanukis qui s'étaient transformés en le squelette géant ; avec la femme des neiges, et même avec le groupe d'yeux.
Des yôkais loups, chats, lézards, oiseaux, et yôkais de toutes sortes marchaient vers lui pour lui parler, manger avec lui, jouer. Kyûbi laissa même Shunsuke lui caresser la tête, ce qui était un grand honneur.
Cette célébration de la vie, spirituelle comme matérielle, dura jusqu'à 3 heures du matin.

Shunsuke avait dormi sur la fourrure de Kyûbi. Les yôkais préparèrent aux deux invités un bon petit-déjeuner, après quoi Kyûbi les accompagna à l'extérieur, puis ouvrit les portails pour que chacun revienne chez lui. Shunsuke, en bon Japonais, s'inclina.

Nous vous réaccueillerons l'an prochain, et sans épreuve ! dit Kyûbi en souriant, après quoi lui, les yôkais et le ryokan tout entier ne retournent dans leur monde.

Shunsuke se tourna vers le dragon, et s'inclina. Avant de passer le portail :

Oh ! au fait, j'ai une question : est-ce dans mon monde que vous avez trouvé cette tasse ?